Depuis l’arrêt du 6 juillet 2010 de la Cour de Justice de l’Union Européenne, il n’y a pas de protection en tant que telle de la fonction ADN mais la protection du brevet est limitée aux produits dans lesquels l’information génétique est contenue et exerce sa fonction. Mais si ces dernières conditions ne sont plus remplies peut-on encore parler d’OGM ?
Un arrêt rendu par la CJUE où il est question de miel, de pollen, de maïs et d’OGM, répond à cette question.
Non, il ne s’agit pas de celui du 8 septembre sur les questions préjudicielles posées par le Conseil d’Etat qui hésitait sur l’interprétation de deux textes, la directive 2001/18 et le règlement 1829/2003 et où la Cour explique que le gouvernement français aurait pu s’appuyer sur un 3ème texte, la directive 2002/53, pour prendre sa décision de suspendre la culture du maïs OGM.
Mais de l’arrêt rendu par la Grande Chambre le 6 septembre, C-442/09, aff. Bablok
1°) Les faits
Monsieur Bablok est apiculteur en Allemagne.
En 2009, la culture du maïs MON 810 a été interdite en Allemagne, mais auparavant ce maïs a été cultivé sur des parcelles à 500 m des ruches de M. Bablok.
M. Bablok, apiculteur amateur donc, destine le miel et le pollen de ses ruches à la consommation ou à la vente.
L’arrêt de la Cour précise que lors de l’extraction du miel du pollen peut s’y mélanger.
En 2005, la présence d’ADN du maïs MON 810 a été de 4,1% du total de l’ADN du maïs et celle de protéines transgéniques ont été relevées dans le pollen de maïs de M . Bablok (mais pas chez d’autres apiculteurs qui se sont joints au recours) ainsi que de quelques très faibles quantités d’ADN de maïs MON 810 dans des échantillons de miel.
2°) L’action en responsabilité des apiculteurs devant les juridictions allemandes
Comme le rappellent les considérants 40 et suivants, cette affaire vient sur sur une demande des apiculteurs qui ont considéré que leur miel a connu une altération substantielle :
« Cette demande a été accueillie en première instance par le Bayerisches Verwaltungsgericht Augsburg, selon jugement du 30 mai 2008. Cette juridiction a considéré que l’apport de pollen de maïs MON 810 faisait du miel et des compléments alimentaires à base de pollen des denrées alimentaires soumises à autorisation, de sorte que, en application de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1829/2003, ces produits ne pouvaient être mis sur le marché à défaut d’une telle autorisation.
41 Selon le Bayerisches Verwaltungsgericht Augsburg, le miel et les compléments alimentaires à base de pollen produits par M. Bablok sont substantiellement altérés en raison de la présence de pollen de maïs MON 810.
42 Contestant cette analyse, Monsanto Technology, Monsanto Agrar Deutschland et le Freistaat Bayern ont interjeté appel du jugement devant le Bayerischer Verwaltungsgerichtshof.
43 Devant cette dernière juridiction, ils soutiennent que le règlement n° 1829/2003 n’est pas applicable au pollen de la souche de maïs MON 810 présent dans le miel ou utilisé comme complément alimentaire…. ».
3°) Les dispositions qui sanctionnent la présence des OGM
Dans cette affaire se trouvaient invoquées :
- des dispositions du droit allemand : «Le transfert de caractéristiques d’un organisme qui reposent sur des manipulations génétiques, ou tous autres apports d’organismes génétiquement modifiés, sont constitutifs d’une altération substantielle au sens de l’article 906 du code civil [Bürgerliches Gesetzbuch],
- le règlement 1829/2003 dont l’article 4 interdit la mise sur le marché d’un OGM destiné à l’alimentation humaine, d’une denrée alimentaire contenant des OGM ou consistant en de tels organismes, ou encore produite à partir d’ingrédients produits à partir d’OGM ou contenant de tels ingrédients, à moins que le produit en cause ne soit couvert par une autorisation délivrée conformément à ce règlement, et auquel cas renvoie à un dispositif d’étiquetage spécifique .
4°) Le pollen provenant de ces fleurs de maïs OGM, quand il a perdu ses propriétés dues à la manipulation génétique, est-il encore une altération substantielle du miel, doit-il être interdit ou le cas échéant, soumis à un étiquetage spécifique ?
La question principale (se trouvaient également débattues les notions d’ingrédients et du caractère volontaire ou non de la présence de pollen dans le miel) était de savoir si le pollen était encore soumis à ce règlement, le pollen de maïs étant certes un organisme puisqu’il peut se multiplier lui-même, mais il perd cette capacité assez rapidement bien avant qu’il ne soit extrait de la ruche par l’apiculteur.
A noter la position de la Commission :
La Commission européenne oppose à une telle conclusion une distinction qui devrait être opérée entre la notion d’«ingrédient» et celle de «constituant naturel». Selon elle, le pollen serait un constituant naturel du miel et non un ingrédient, de sorte que le miel le contenant ne relèverait pas de l’article 3, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1829/2003. Ce résultat concorderait, au demeurant, avec l’énoncé du seizième considérant de ce règlement, dont il faudrait déduire que les denrées alimentaires d’origine animale ne peuvent être considérées comme produites à partir d’un OGM que si l’animal est lui-même génétiquement modifié. (Considérant 80)
La Cour va refuser cette analyse :
L’interprétation proposée compromettrait l’objectif de protection de la santé humaine, dans la mesure où une denrée alimentaire telle que le miel échapperait à tout contrôle de son innocuité, alors même qu’elle contiendrait des quantités élevées de matériel génétiquement modifié.
La Cour va appliquer largement le règlement :
les articles 2, points 1, 10 et 13, ainsi que 3, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1829/2003, 2 du règlement n° 178/2002 et 6, paragraphe 4, sous a), de la directive 2000/13 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une substance telle que du pollen contenant de l’ADN et des protéines génétiquement modifiés n’est pas susceptible d’être considérée comme un OGM, des produits comme du miel et des compléments alimentaires contenant une telle substance constituent, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1829/2003, «des denrées alimentaires […] contenant [des ingrédients produits à partir d’OGM]»;
Si on conserve en mémoire le précédent arrêt de la Cour, on peut dire que même si la fonction du brevet n’est plus en vigueur, la qualification d’OGM demeure et trouve à s’appliquer en particulier la législation sur l’étiquetage.
5°) L’enjeu de cet arrêt va bien au-delà des 11 000 Euros demandés par l’apiculteur, puisque la Cour refuse pour ce miel l’application des seuils.
Différents seuils d’OGM ont été fixés par les textes communautaires pour soumettre les aliments qui en contiennent à l’étiquetage spécifique.
En l’absence d’autorisation et de surveillance, – ce miel avec ce pollen n’a pas été autorisé – La Cour exclut que ces seuils soient retenus ici, c’est donc un régime d’interdiction absolu qui s’impose :
Le règlement n° 1829/2003 institue de la sorte un niveau de contrôle supplémentaire.
102 Ce règlement serait rendu sans objet s’il était considéré qu’une évaluation réalisée et une autorisation délivrée en application des directives 90/220 ou 2001/18 couvrent tous les risques potentiels subséquents pour la santé humaine et l’environnement.
103 Lorsque les conditions énoncées à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1829/2003 sont remplies, l’obligation d’autorisation et de surveillance existe quelle que soit la proportion de matériel génétiquement modifié contenue dans le produit en cause.
104 En effet, en ce qui concerne cette obligation, un seuil de tolérance de 0,5 % n’a été prévu qu’à l’article 47 du règlement n° 1829/2003. Or, ce seuil a cessé d’être applicable trois ans après la date d’application de ce règlement, conformément au paragraphe 5 dudit article 47.
105 Quant au seuil de tolérance de 0,9 % par ingrédient édicté à l’article 12, paragraphe 2, du règlement n° 1829/2003, il concerne l’obligation d’étiquetage et non pas l’obligation d’autorisation et de surveillance.
106 Son application par analogie à cette dernière obligation priverait de toute utilité la disposition qui le prévoit, dès lors qu’elle exclurait la denrée alimentaire en cause du champ d’application du règlement n° 1829/2003.
107 En tout état de cause, elle contredirait l’objectif d’un «niveau élevé de protection de la vie et de la santé humaines» énoncé à l’article 1er de ce règlement.
108 Il convient donc de répondre à la troisième question que les articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, du règlement n° 1829/2003 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’ils impliquent une obligation d’autorisation et de surveillance d’une denrée alimentaire, il ne peut pas être appliqué par analogie à cette obligation un seuil de tolérance tel que celui prévu en matière d’étiquetage à l’article 12, paragraphe 2, du même règlement.