Interdiction provisoire sur requête de l’article L615-3 en matière de contrefaçon de brevet : des exigences de transparence et de loyauté pour le requérant agissant contre des médicaments prochainement génériques

Différentes prérogatives sont accordées au breveté. Parmi celles-ci, l’interdiction provisoire obtenue sur requête du breveté en application de L 615-3.La Cour de Paris par son arrêt du 11 décembre 2012 apprécie les conditions de mise en œuvre de cette procédure sur requête.

Brièvement la procédure antérieure

NOVARTIS AG est titulaire du brevet et du CCP sur le VALSARTAN,  NOVARTIS PHARMA est sa licenciée, ses produits sont commercialisés sous les marques Tareg et Cotareg.

–          Brevet européen EPO 443 983 expiré le 12 février 2011

–     CCP n°97C0050 délivré le 17 septembre 1999, il  a fait l’objet d’une extension pédiatrique qui est venue à expiration le 13 novembre 2011.

27 octobre 2011 : ordonnance du Président du TGI de Paris sur la requête des sociétés NOVARTIS :

–     fait interdiction aux SANOFI-FRANCE AVENTIS, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et ZENTIVA KS de commercialiser leur Valsartan hydrochlorothiazide, Zentivalab 80mg/12,5mg 160mg/12,5mg et 160mg/25mg,

–      ordonne la communication de différentes informations ainsi que la publication d’un communiqué.

31 octobre 2011 : le juge des référés saisi par  SANOFI-FRANCE AVENTIS, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et par ZENTIVA KS maintient l’ordonnance en toutes ses dispositions « à l’exception de celles relatives à l’obligation de communiquer des informations destinées à déterminer l’origine et les réseaux de distribution des compositions pharmaceutiques reproduisant les revendications du brevet EP0443983 et du CCP n°97C0050 ».

Appel de SANOFI-FRANCE AVENTIS, SANOFI WINTHROP INDUSTRIE et de ZENTIVA KS

L’arrêt du 11 décembre est d’une très haute importance

  • La Cour examine le respect de toutes les dispositions de  L615-3 au jour de la requête

Considérant qu’il appartient donc à la présente juridiction de vérifier, même d’office, si le juge avait été régulièrement saisi en recherchant si la requête ou l’ordonnance caractérisent les circonstances justifiant que la mesure sollicitée soit prise exceptionnellement en dehors de tous débats contradictoires, que ces circonstances doivent être appréciées au jour où le juge statue sur requête et ne peuvent résulter de faits postérieurement révélés et notamment des constats de la mesure ordonnée ;

  • Le degré d’exigence de la Cour est au plus haut

Considérant que la cour constate que les sociétés NOVARTIS qui ont versé aux débats 68 pièces n’ont pas cru devoir lui communiquer la requête à l’origine de la présente procédure ; que ce défaut de production est préjudiciable à l’examen du dossier ; qu’il caractérise la négligence de celles-ci et leur légèreté à l’égard de la cour ;

  • Un contrôle extraordinairement minutieux des  conditions de L615-3 très en amont de la requête elle-même

Considérant toutefois que le cour dispose de cette requête qui a été produite par leurs adversaires.

Considérant que cette requête comporte 64 pages et un bordereau de pièces visant 54 pièces ;

Considérant que celle-ci présente les droits invoqués puis les produits argués de contrefaçon et ensuite les atteintes à ces droits ; qu’il est fait mention à la page 48 de ventes de produits contrefaisants dans des pharmacies et d’éléments tangibles établissant la contrefaçon en date des 26 et 27 octobre 2011 dans une pharmacie et une saisie-contrefaçon du 26 octobre 2011 ;

Considérant que la cour observe à cet égard que tant dans la requête que dans le bordereau de communication de pièces annexé aux dernières conclusions des sociétés NOVARTIS, celles-ci mentionnent une pièce 54 ‘ preuves de la contrefaçon’ ; que cette énonciation non détaillée et ne mentionnant pas de manière précise et exhaustive celles-ci ne respecte pas là encore le principe de loyauté et de transparence dans la fourniture des éléments de preuve ; que la cour ne peut déterminer les éléments de preuves qui ont été présentés au juge des requêtes et ignore si les pièces versées aux débats devant elle sous le même numéro 54 ‘ preuves de la contrefaçon’ sont celles fournies à ce juge ;

Considérant qu’en tout état de cause, la cour relève qu’en cause d’appel, figurent sous le n°54 deux requêtes sollicitant des saisies-contrefaçon dans une pharmacie Gambetta et dans l’unité de production et celle de distribution de SANOFI à Montargis ; qu’elle ne peut que constater que les deux requêtes n’explicitent pas en quoi il y a lieu de déroger au principe de la contradiction et qu’elles ont été suivies de procès-verbaux qui pour le premier révèle l’absence de produit commercialisé et l’impossibilité de mise en vente du produit, la spécialité présentée sur le logiciel officine ne comportant ni prix de vente ni prix d’achat et qui, pour le second, mentionne la présence de palettes de produits Valsartan ; que l’huissier ne mentionne pas avoir relevé de destinataire à ces palettes; qu’il peut donc exister un doute sur la commercialisation imminente des produits en question;

Considérant qu’apparaît aussi une copie de feuille de soins émanant d’une pharmacie TASSE pour un produit Valsartan suite à une ordonnance du 26 octobre 2010 d’un médecin A…. F……….; que ces documents ne sont pas accompagnés d’une attestation du pharmacien, du médecin ou du malade et les conditions dans lesquelles ils ont été obtenus sont ignorées ;

Considérant que ce sont les seules pièces dont dispose la cour et qui seraient celles présentées au titre des preuves de la contrefaçon, au juge des requêtes à l’appui de la demande d’interdiction ;

  • Requête ou référé d’heure à heure ?

Considérant enfin que la requête précise page 60 que «  ces mesures ne peuvent être utilement ordonnées dans le cadre d’une procédure contradictoire compte tenu de la date d’expiration du CCP n°97C0050 et des jours chômés, une décision contradictoire ne pourrait être rendue avant qu’une partie significative de la durée restante du CCP ne soit écoulée. Il est d’ailleurs permis de penser que l’espoir que des mesures efficaces ne puissent être prises avant l’expiration du CCP est précisément à l’origine du lancement prématuré des produits argués de contrefaçon. Il convient de relever que la présence de produits génériques contrefaisants causerait à NOVARTIS outre le préjudice financier considérable, un dommage vraiment irréparable compte tenu des éléments rappelés plus hauts »’;

Considérant qu’il convient de souligner que le texte dispose que les circonstances exigent que les mesures ne soient pas prises contradictoirement, notamment lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au demandeur ;

Considérant que la requête a été présentée le 27 octobre 2011 lors que le CCP venait à expiration le 13 novembre 2011 soit 17 jours après ; qu’elle soutient que ce court délai ne permettait pas d’obtenir une décision contradictoire dans ce délai ; que, dans leurs dernières conclusions, les sociétés NOVARTIS ont cru devoir rajouter qu’il y avait des week-ends et des jours fériés et des vacances scolaires ;

Considérant toutefois qu’il peut leur être rappelé qu’il existe une procédure urgente de référé d’heure à heure permettant de respecter le contradictoire dans un délai raccourci ; qu’au surplus, les juridictions sont susceptibles de donner des dates d’audience en urgence notamment le week-end ou les jours fériés et que les vacances scolaires n’ont pas d’effet sur cette possibilité a fortiori en novembre où il n’existe pas de vacations judiciaires ; que c’est si vrai que leurs adversaires ont dès la signification de l’ordonnance d’interdiction saisi le juge d’une demande de référé rétractation d’heure à heure qu’ils ont obtenu ; que le juge a entendu les parties le 29 octobre 2011 et rendu son ordonnance le 31 octobre 2011 soit 14 jours avant l’expiration du délai du CCP ; que la cour constate que le 29 octobre était un samedi et le jour du délibéré était la veille d’un jour férié ;

Considérant qu’il s’ensuit que ce motif n’est pas sérieux et ne pouvait justifier un recours à une procédure non contradictoire ;

Considérant que la mention relative à l’espoir de la société adverse qu’elles ne puissent pas recourir à des mesures efficaces avant la survenue de l’expiration du CCP est hypothétique ;

  • Le préjudice irréparable

Considérant que les sociétés NOVARTIS invoquent un préjudice irréparable ; qu’il convient de noter que ce cas est cité comme une hypothèse où il peut y avoir recours à la procédure non contradictoire dès lors que cela figure dans le texte après l’adverbe ‘notamment’ ; que, par ailleurs, cela ne signifie pas que cela soit suffisant ;

Considérant que le préjudice irréparable invoqué est lié, selon les sociétés NOVARTIS, à leurs investissements massifs dans la conception de produits pharmaceutiques ce que n’a pas à supporter le génériqueur, que la mise en place de génériques entraîne une perte de marchés pour elles, que les génériqueurs bénéficient d’un tremplin illégitime pour leurs ventes s’ils commencent celle-ci avant l’expiration des droits ;

Considérant que toutefois les investissements effectués pour découvrir le produit princeps ont été compensés par la protection accordée par le brevet et le CCP pendant plusieurs années ; que l’existence de produits génériques est favorisée par les pouvoirs publics dans un souci de santé publique et que le préjudice résultant de la mise sur le marché de tels produits qui entraîne nécessairement une perte de marchés pour les sociétés NOVARTIS résulte de cette autorisation et de cette mise sur le marché indépendamment même d’une mise en vente prématurée à la supposer avérée pendant 17 jours ; qu’au surplus, ce dommage n’est pas irréparable mais se résout en dommages intérêts ;

  • La sanction

Considérant dès lors que les motifs invoqués au soutien de la requête pour autoriser le non-respect du principe de contradiction sont insuffisants ; qu’ils ne pouvaient permettre le recours à une procédure non contradictoire, alors que la contradiction était essentielle, les intérêts en jeu importants et que les mesures sollicitées d’interdiction étant elles-mêmes lourdes de conséquences pour les parties adverses ;

Considérant qu’il s’ensuit que les motifs présentés pour justifier la dérogation au principe du contradictoire n’étant pas sérieux, l’ordonnance déférée qui devait examiner le motif exposé pour justifier de la dérogation à ce principe ne pouvait que rétracter la requête et qu’elle doit donc être infirmée de ce chef ;