Le contrat de copropriété d’un brevet prévoit souvent l’organisation des actions futures en contrefaçon. De telles clauses peuvent se révéler redoutables pour un présumé contrefacteur comme le montre l’arrêt de la Cour de Lyon du 12 septembre 2013.
Deux sociétés A……. et F……. sont copropriétaires d’un brevet français couvrant un dispositif mobile d’enroulement de couverture de sécurité pour piscine. Le brevet a été délivré le 20 juillet 2007 sur une demande publiée le 10 novembre 2006.
Seule la société A…… agit en contrefaçon contre une société AP……..
Le 8 septembre 2011 : le Tribunal de grande instance de Lyon condamne pour contrefaçon la société AP…….. à 150 000 euros de Dommages et intérêts.
Appel du jugement par la société AP……..
Le 12 septembre 2013, la Cour de Lyon retient également la contrefaçon.
Deux points méritent d’être soulignés.
- L’irrecevabilité de la demande en nullité du brevet
Le contrat de copropriété du brevet stipule que « les parties conviennent que la société A…. aura mandat irrévocable de décider d’intenter toute action en contrefaçon qu’elle jugera nécessaire et sera chargée de la conduite de ces actions à ses frais, risques et périls ; en ce cas, les éventuels bénéfices obtenus seront acquis au copropriétaire ayant intenté l’action ».
Aucun mandat d’agir en justice au nom et pour le compte de la société F……afin de défendre à une action en nullité du brevet ne ressort expressément de cette clause, seule citée dans les conclusions d’appel au soutien de cette thèse.
Il n’est pas rare qu’une discussion portant sur la validité du brevet s’ouvre dans le cadre de « toute action en contrefaçon » et conduise à une action reconventionnelle en nullité, alors même qu’il s’agit là d’abord d’un moyen de défense.
Mais cette considération générale ne peut suffire à étendre le champ du mandat, qui est clair, précis et limité, en permettant de présumer qu’il porte sur toute demande ou défense formée à l’occasion d’une action en contrefaçon, y compris l’action reconventionnelle en nullité de brevet.
Dans ces conditions, la société F….., qui n’a pas été mise en cause en l’instance, n’y est donc ni présente, ni représentée.
Or, l’annulation de tout ou partie des revendications contestées aurait effet absolu, y compris à son égard, et impliquerait la perte du droit qu’elle tient du brevet.
Une telle décision ne peut être envisagée, alors que la société F…. n’a pas été entendue ni n’a été mise en mesure de l’être.
L’action en nullité du brevet ou de certaines de ses revendications est irrecevable.
- Des dommages et intérêts à propos d’un perfectionnement jugé contrefaisant
Après voir retenu la contrefaçon de toutes les revendications invoquées, la Cour examine les dommages et intérêts alloués par le Tribunal.
Après avoir relevé que, selon les documents annexés au procès-verbal du 22 avril 2010, la société AP …….. a réalisé depuis 2007 un chiffre d’affaires net HT de 924 588 euros, le jugement entrepris retient que, dans la mesure où les appareils E…. présentent des améliorations qui tendent à considérer que la société A……. n’aurait pas nécessairement réalisé la totalité de ces ventes, il convient de borner la condamnation indemnitaire à 150 000 euros.
Mais ce perfectionnement, à le supposer réel, est une contrefaçon et ne permet pas d’écarter une partie des ventes de l’appréciation de la masse contrefaisante.
Par ailleurs :
– l’expert comptable de la société A….. atteste que les éléments de la comptabilité générale et les tableaux de gestion de cette dernière font état d’un taux de marge industrielle moyen de 49,54 %,
– le commissaire aux comptes confirme ce chiffre et précise qu’il est le reflet du taux de marge brute pour chacun des exercices et de la pondération par la quantité observée sur chaque exercice par rapport au total des unités vendues sur la période.
Contrairement à ce que soutient la société AP………. , les éléments pris en compte pour parvenir à ce taux sont donc précis, et d’ailleurs pertinents ; le fait que, depuis un certain temps, la société A…. fasse fabriquer ses produits en sous-traitance est indifférent, puisqu’il existe bien un taux de marge ‘industrielle’, c’est-à-dire résultant du processus de fabrication et de vente, tel qu’attesté par les professionnels du chiffre, dont les observations ne sont donc pas utilement contestées.
S’il est donc exact que le prototype …., dont rien ne permet de retenir qu’il a été commercialisé sous sa forme initiale mais dont il est seulement établi qu’il a été exposé dans un salon professionnel, n’a pas produit de dommage industriel, la commercialisation des appareils ….. a, elle, causé une perte dont la réalité et le quantum sont pleinement attestés.
Dans ces conditions, le ‘préjudice réellement subi et prouvé’, selon l’expression de la société AP……….. est bien de 458 040 euros et le débat portant sur les effets de la loi du 27 octobre 2007 est sans portée.
Conformément aux termes de la demande de la société A…. , il convient d’ajouter au jugement en condamnant la société AP….. à lui payer la différence entre ce montant et celui retenu en première instance.
Les mesures de publication ordonnées en première instance sont adéquates ; il n’y a pas lieu, même en tenant compte de l’aggravation de la condamnation pécuniaire résultant du présent arrêt, d’en modifier la teneur ou d’en ordonner de nouvelles.