En limitant un brevet en cours de procédure et quand cette limitation intervient après le jugement, la cour d’appel se trouve confrontée à de multiples écritures de revendications, les anciennes et les nouvelles. Une erreur de plume peut être lourde de conséquences. L’arrêt rendu le 21 janvier 2014 par la Cour de Cassation illustre ces difficultés rencontrées par les juges.
Brièvement la chronologie
14 mars 1994 : dépôt de la demande de brevet français.
10 mars 1995 : dépôt de la demande de brevet européen portant sur un filtre pour l’épuration des eaux.
Assignation à la requête de la société E…… titulaire de la partie française du brevet européen de la société O……
La société O ……. présente des demandes reconventionnelles en nullité de plusieurs des revendications.
Le jugement (dont la date n’est pas indiquée à l’arrêt de la Cour de Cassation) annule les revendications 1, 2,3, 5,6, 8,13, 14,16 à 22, 28,29, 31 et 32 du brevet européen en ce qu’il désigne la France.
Le titulaire du brevet présente une requête aux fins de l’imitation de la partie française de ce brevet.
4 janvier 2011 : la limitation est acceptée par le directeur de l’INPI.
11 juin 2012 ( un arrêt rectificatif intervient le 12 novembre 2012) : la cour d’appel de …..[ il ne s’agit pas de la Cour de Paris] annule les nouvelles revendications 1, 2,4,5, 7, 14,15,16,17, 22,23, 24,25 et 26 y ajoutant l’annulation des revendications nouvelles 3 et 6.
Deux pourvois en cassation par la société E…….
- Parmi les nombreux moyens qui ont été examinés à l’arrêt du 21 janvier 2014, deux sont à relever.
Mais sur le troisième moyen du pourvoi n° J 12-24.022, pris en sa quatrième branche, et le cinquième moyen du pourvoi n° K 13-10.227, pris en sa sixième branche :
Vu les articles 54 et 56 de la Convention de Munich, ensemble l’article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour annuler les nouvelles revendications 3 et 4, les arrêts, après avoir relevé que ces revendications portaient sur l’existence d’un réseau de tuyaux de drainage adjacents à la seconde surface de la couche granulaire filtrante et plus spécialement sur le positionnement des tuyaux de drainage sous le massif filtrant ou noyé dans le fond de ce dernier, en déduisent que la revendication est divulguée dans la norme P 16-603 et dans toutes les constructions de filtre dit « à sable » et que, même combinée à la nouvelle revendication 1, elle ne présente aucune activité inventive ;
Attendu qu’en statuant par de tels motifs, qui ne permettent pas, en raison de l’emploi du singulier, de savoir laquelle de ces deux nouvelles revendications 3 ou 4 était dépourvue d’activité inventive, et alors que la nouvelle revendication 3 ne couvrait pas la même caractéristique que la nouvelle revendication 4, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le quatrième moyen du pourvoi n° J 12-24.022, pris en sa première branche, et le sixième moyen du pourvoi n° K 13-10.227, pris en sa première branche :
Vu les articles 54 et 56 de la Convention de Munich, ensemble l’article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour annuler les nouvelles revendications 6 et 7, les arrêts, après avoir relevé qu’elle est constituée de gravier lavé et sert de couche de protection des tuyaux d’épandage et que ces caractéristiques sont incluses dans la norme P 16 603, en déduisent que même reliée à la nouvelle revendication 1, la revendication est dépourvue d’activité inventive ;
Attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, qui ne permettent pas, en raison de l’emploi du singulier, de savoir laquelle de ces deux nouvelles revendications 6 ou 7 était dépourvue d’activité inventive, et alors que la nouvelle revendication 6 ne couvrait pas la même caractéristique que la nouvelle revendication 7, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
- A relever également
Sur le neuvième moyen du pourvoi n° J 12-24.022 :
Vu les articles 54 et 56 de la Convention de Munich, ensemble l’article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour annuler la nouvelle revendication 26, l’arrêt relève que celle-ci vise le fait que le filtre est relié à un système de pré-traitement ce qui implique qu’il est relié à une fosse septique ; que la cour d’appel en déduit que cette revendication est dépourvue de nouveauté ou activité inventive ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que le défaut d’activité inventive doit s’apprécier distinctement du défaut de nouveauté et constitue une cause distincte d’annulation d’une revendication, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
Sur le quatrième moyen du pourvoi n° K 13-10.227, pris en sa troisième branche, qui est recevable :
Vu l’article 4 du code de procédure civile ;
Attendu que pour annuler, pour défaut d’activité inventive la nouvelle revendication 1, l’arrêt retient que la société Eparco n’établit pas la nature spécifique de la combinaison couverte par cette revendication telle que résultant de la limitation ;
Attendu qu’en statuant ainsi, quand la société Eparco faisait valoir dans ses écritures que la revendication 1, telle que limitée, portait sur un ensemble de moyens dont la combinaison permettait de résoudre le problème technique consistant à obtenir un filtre assurant une répartition correcte des eaux à traiter, bien aéré et ayant une surface limitée sans avoir à modifier la structure de la filière d’assainissement des eaux usées pour maison d’habitation et que ce problème technique n’avait jamais été posé dans l’état antérieur de la technique, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le septième moyen du pourvoi n° K 13-10.227, pris en sa première branche :
Vu l’article 455 du code procédure civile ;
Attendu qu’en affirmant que le jugement devait être confirmé en ce qu’il avait prononcé la nullité, pour défaut d’inventivité, de la revendication numérotée 17 après limitation puis, en relevant qu‘il devait être procédé à l’examen de la contrefaçon de cette revendication dès lors que sa nullité n’était pas retenue, la cour d’appel, qui a statué par des motifs contradictoires, n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
- La cassation est prononcée.
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’ils ont prononcé la nullité des revendications numérotées après limitation 1, 3, 4, 6, 7, 17, 26 et rejeté la demande en contrefaçon de ces revendications, les arrêts rendus les 11 juin 2012 et 12 novembre 2012, entre les parties, par la cour d’appel de ………..; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;