La saisie-contrefaçon en matière de brevet fait l’objet d’un important contentieux souvent relaté sur ce blog.L’arrêt de la Cour de Paris du 28 janvier 2014 va-t-il modifier profondément la pratique des avocats et des juges ?
25 juin 2012 : 7 ordonnances sont rendues (dont deux à l’encontre de la société ALCATEL-LUCENT) par le juge des requêtes qui autorise la société de droit luxembourgeois HIGH POINT sur la base de la partie française du brevet EP 522772 (EP 0 552 772 correction suite à un commentaire) déposé le 30 juin 1992 délivré le 22 mai 1996 intitulé ‘architecture d’interface d’accès au réseau téléphonique d’un téléphone sans fil’ à faire diligenter des opérations de saisie-contrefaçon :
– dans les locaux de la société BOUYGUES TELECOM le 27 juin 2012 ;
– dans les locaux de la société SFR le 27 juin 2012
– dans les locaux de la société ALCATEL-LUCENT le 28 juin 2012 ;
– dans les locaux de la société HUAWEI les 28 et 29 juin 2012 ;
– dans les locaux de la société ERICSSON France le 28 juin 2012 ;
– dans les locaux de la société NSN le 28 juin 2012.
27 juillet 2012 : la société HIGH POINT assigne en contrefaçon de brevet la société BOUYGUES TELECOM . Les sociétés ALCATEL-LUCENT, ERICSSON et HUAWEI interviennent volontairement.
Décembre 2012 et janvier 2013 : les sociétés ERICSSON, BOUYGUES, ALCATEL-LUCENT, SFR, NSN et HUAWEI assignent la société HIGH POINT en rétractation des ordonnances du 25 juin 2012.
29 mars 2013 : le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris :
– rétracte les six ordonnances de saisie-contrefaçon rendues le 25 juin 2012 à l’encontre des sociétés ERICSSON, ALCATEL-LUCENT, SFR, BOUYGUES et NSN et a en conséquence ordonne la restitution des documents saisis et interdit l’usage de ces pièces par la société HIGH POINT
– rejette la demande de rétractation de l’ordonnance visant la société HUAWEI.
La société HUAWEI fait appel . Les sociétés SFR et BOUYGUES font également appel pour demander la rétractation de la seule ordonnance du 25 juin 2012 restante.
La Cour de Paris infirme l’ordonnance du 29 mars et rétracte l’ordonnance sur requête du 25 juin 2012.
- Les avocats devront-ils modifier leur pratique pour demander une saisie-contrefaçon en matière de brevet ?
Considérant que la cour relève que la société HIGH POINT a indiqué dans sa requête que son invention avait pour objet de proposer une nouvelle architecture pour les réseaux de communication sans fil en prévoyant une méthode dite de commutation par paquets pour acheminer le trafic d’appel entre la station de base et les équipements de commutation ;
Considérant qu’elle a ensuite décrit son brevet faisant état de certaines revendications y figurant ;
Considérant qu’elle a ensuite déclaré que des opérateurs français dont la société BOUYGUES et SFR exploitent un réseau de téléphonie mobile mettant en oeuvre son invention ; que le groupe HUAWEY étant le fournisseur d’équipements composant les réseaux de téléphonie mobile exploités par les opérateurs de téléphonie mobile susmentionnés, il convient de procéder à la saisie-contrefaçon ;
Considérant que la cour ne peut que constater que la société HIGH POINT procède par affirmation ; qu’il n’est fourni aucune pièce au soutien de ces assertions notamment pas sur l’usage de réseaux téléphonie mobile utilisant comme elle le dit des stations de base appelées Node B et des contrôleurs de réseau radio ;
Considérant qu’au delà de la discussion nourrie entre les parties sur l’interprétation du droit national par rapport au droit communautaire, de la notion de produits prétendus contrefaisants ou de celle visant les éléments de preuve raisonnablement accessibles, la cour estime que, s’agissant d’une mesure d’une exceptionnelle gravité puisqu’autorisant la saisie-contrefaçon et l’accès à des documents d’une société de manière non contradictoire, il convient que la demande ne repose pas sur de simples affirmations ou allégations non étayées par un minimum de pièces ; qu’en l’état, la société HIGH POINT n’a même pas établi que les opérateurs recouraient au système de téléphonie avec stations de base et contrôleurs réseau dont elle prétendait qu’ils remplissaient les fonctions que la revendication 1 de son brevet visait ; que l’existence de ces deux éléments essentiels pour que soit présumée ou rendue vraisemblable une éventuelle contrefaçon ne sont pas avérés ; que ne figure aucune pièce en annexe relative à ces deux points ; qu’il n’est pas démontré en outre que ces systèmes de téléphonie mobile fonctionnent nécessairement et obligatoirement avec ces deux éléments ; que dès lors l’autorisation de saisie-contrefaçon n’était pas fondée et aucun élément n’existait pour la justifier ; que l’ordonnance entreprise doit être infirmée et l’ordonnance sur requête du 25 juin 2012 visant HUAWEY rétractée ;
- La pratique des juges en charge des requêtes de saisie-contrefaçon et de leur rétractation risque aussi de connaître des changements importants
Considérant qu’au surplus, l’ordonnance entreprise ne pouvait maintenir l’ordonnance sur requête visant cette dernière société tout en ayant rétracté les autres ordonnances pour défaut de loyauté relativement à l’absence de révélation par la société HIGH POINT de l’existence de licences dès lors que les saisies opérées chez ces sociétés concernaient aussi des matériels livrés par la société HUAWEY qui pouvait avoir bénéficié d’une manière directe ou indirecte desdites licences ;
Considérant qu’enfin, la cour constate qu’au surplus, les mesures obtenues étaient exorbitantes puisqu’autorisant la société HIGH POINT à obtenir des informations sur les équipements composant les réseaux de téléphonie mobile exploités en France par les société SFR et BOUYGUES et que la société HUAWEI aurait fournis et à obtenir la copie des codes sources et/ou des données de configuration de tout équipement composant le réseau de téléphonie mobile exploité en France par ces sociétés ; que cette autorisation sans limitation au regard des seules revendications du brevet argué de contrefaçon est là encore éminemment contestable ; qu’il convient d’ailleurs de relever que le juge des requêtes a cru devoir interpréter sa propre requête à la demande de la société BOUYGUES dans des conditions procédurales pour le moins contestables dès lors que seule la procédure de référé rétractation aurait du être suivie ;
Considérant qu’en tout état de cause, l’ordonnance de référé est infirmée et l’ordonnance sur requête rétractée ; qu’il y a lieu d’enjoindre à la société HIGH POINT de restituer l’intégralité des pièces saisies dans les locaux de la société HUAWEI , d’interdire à celle-ci d’utiliser de quelque manière que ce soit lesdites pièces sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée .
Le numéro du brevet est EP522772.
C’est l’éternel problème des brevets de procédé ou de système. Un procédé peut ne pas se retrouver sur le produit final, de même que le fonctionnement d’un réseau peut ne pas être connu à partir de l’analyse des produits commercialement accessibles.
D’où la nécessité en pareil cas d’une saisie-contrefaçon.
Question subsidiaire: Etant donné que pour connaître un système, il faut s’y introduire, comment satisfaire aux conditions posées par cet Arrêt sans recourir à un « hacker »?
Etant donné le sujet, espérons qu’il y aura un pourvoi en Cassation.
Merci, la correction du n° est faite.