L’arrêt rendu le 21 octobre 2014 par la Cour de Paris se prononce sur la détermination du juge compétent pour examiner une action en revendication de la propriété d’une demande de brevet européen et de celle d’un brevet nord-américain, tous deux ayant la même priorité un brevet nord-américain également.
Ce litige oppose une société française à une société nord-américaine, la déposante des deux brevets litigieux.
Cet arrêt confirme l’incompétence territoriale constatée par le Tribunal de grande instance de Paris et énonce un principe qualifié d’absolu celui de la territorialité des brevets.
Deux articles étaient invoqués par la société française
L’article 14 du Code civil : L’étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l’exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français.
L’article 46 du Code de procédure civile : Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur : …. – en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.
La situation des titres
Considérant que l’action de la société M……. tend au fond à revendiquer la demande d’un titre européen , dont la délivrance est, de ce fait, actuellement suspendue et à obtenir qu’un brevet américain suive le même sort quant à la propriété ;
Considérant que ce brevet américain n’apparaît pas comme un simple accessoire d’une demande de titre européen, ni comme son prolongement, dès lors que sa demande est, ainsi que justement relevé par le premier juge, antérieure à celle en cause, et que cette dernière, comme le brevet américain, revendique le bénéfice d’une demande provisoire américaine préexistante ;
Le transfert sollicité et l’action en responsabilité délictuelle
Considérant, alors qu’il n’est pas sérieusement contesté que la juridiction française n’est pas compétente pour prescrire un changement autoritaire du titulaire du brevet américain, force est de constater que la demande tendant à voir ordonner à l’intimée de procéder à ce transfert tend indirectement à modifier la propriété d’un brevet autre qu’européen, en ordonnant au propriétaire actuel de transférer le titre, avec inscription dans le registre d’une autorité étrangère ;
Que, certes, il doit être admis qu’une action en revendication d’une demande de brevet européen peut être doublée d’une action en responsabilité civile, soumise aux règles ordinaires de compétence, tendant à obtenir, à titre de réparation, le transfert éventuellement sous astreinte d’un brevet étranger correspondant, mais il convient de rappeler qu’en matière délictuelle n’est compétente, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur (situé en l’espèce aux Etats-Unis et non en France) que la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;
Qu’à cet égard, le premier juge a justement relevé qu’en la cause <<tant le lieu du fait dommageable que celui où le dommage a été subi ne sont pas situés en France puisqu’ils résultent du dépôt aux Etats-Unis de la demande de brevet>> ; qu’en effet le fait dommageable ne s’est pas produit en France, s’agissant de la délivrance par l’office américain des brevets d’un titre américain, et si l’appelante soutient que le dommage qui en résulterait dépasserait les limites du seul territoire américain et aurait des conséquences immédiates et directes en France, lieu où elle exerce ses activités et a son siège social, force est de constater qu’en France seul un titre français ou assimilé permet de se prévaloir d’un monopole sur une invention ; que dans l’ordre international d’éventuelles répercussions en France du détournement à l’étranger d’un titre étranger ne saurait permettre une extension de la compétence territoriale à la juridiction française ;
Considérant qu’aucun critère ordinaire de compétence ne s’avère ainsi réalisé en France, comme pertinemment retenu en première instance, et le privilège de juridiction invoqué en appel n’apparaît pas plus pouvoir être utilement invoqué dès lors qu’il se heurte au principe absolu de territorialité des brevets, et qu’une demande de brevet européen est indépendante d’un brevet préalablement obtenu pour la même invention dans un pays tiers ;
La décision
Considérant qu’il ressort de l’ensemble de ces éléments d’appréciation que le tribunal de grande instance de Paris est incompétent en la cause pour statuer sur les demandes relatives au transfert du brevet américain, lesquelles relèvent d’une juridiction étrangère ; qu’il convient, en conséquence, de renvoyer les parties à mieux se pourvoir de ces chefs en application de l’article 96 du Code de procédure civile ;
Décision intéressant, mais il ne me semble pas que la solution retenue coule de source.
L’arrêt « Duijnstee » de la CJCE a considéré que la règle de compétence exclusive de l’art. 16-4 de la convention de Bruxelles en matière d’inscription et validité ne s’appliquait pas à un litige portant sur la titularité d’un brevet. En effet, l’action en revendication ne vise pas directement à obtenir que le juge français ordonne l’inscription d’un transfert à une autorité étrangère, mais une injonction de demander une telle inscription, prononcée à l’encontre du défendeur.
Certes, dans le cas d’espèce il n’est pas question de droit européen, mais la question ne me parait pas se poser dans des termes radicalement différents.
Je ne suis pas assez calé en DIP pour savoir si les articles 14 C. Civ. et 46 CPC auraient dû s’appliquer, mais il me semble que la Cour s’est retranchée un peu trop vite derrière le principe de territorialité.