Les conclusions de l’avocat général M. Melchior WATHELET dans le litige Huawei Technologies Co. Ltd contre ZTE Corp.,ZTE Deutschland GmbH sur les questions préjudicielles du Landgericht Düsseldorf viennent d’être publiées. Ici
Leurs conséquences se limiteront-elles aux brevets essentiels à une norme comme en l’espèce ou bien portent-elles, en germe, de nouvelles conditions à l’action en contrefaçon selon le comportement du contrefacteur ?
À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Landgericht Düsseldorf de la manière suivante:
1) L’introduction par le titulaire d’un brevet essentiel à une norme, qui s’est engagé envers un organisme de normalisation à octroyer aux tiers une licence à des conditions FRAND (Fair, Reasonable and Non-Discriminatory), à savoir à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, d’une demande de mesures correctives ou d’une action en cessation à l’encontre d’un contrefacteur, en application, respectivement, de l’article 10 et de l’article 11 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, qui peuvent conduire à l’exclusion des marchés couverts par la norme des produits et des services du contrefacteur d’un brevet essentiel à une norme, constitue un abus de sa position dominante en application de l’article 102 TFUE s’il est démontré que le titulaire d’un brevet essentiel à une norme n’a pas respecté son engagement alors que le contrefacteur se montre objectivement prêt, désireux et apte à conclure une telle licence.
2) Le respect de cet engagement implique que, avant d’introduire une demande de mesures correctives ou une action en cessation et sous peine d’abuser de sa position dominante, le titulaire d’un brevet essentiel à une norme doit, sauf s’il est établi que le contrefacteur présumé en est pleinement informé, avertir ce dernier, par écrit et avec motivation de l’infraction en cause en précisant le brevet essentiel à une norme pertinent et de quelle façon il est enfreint par le contrefacteur. Le titulaire d’un brevet essentiel à une norme doit en tout état de cause transmettre au contrefacteur présumé une offre écrite de licence à des conditions FRAND qui devra contenir toutes les conditions figurant habituellement dans une licence dans la branche d’activité concernée, en particulier le montant précis de la redevance et la façon dont il est calculé.
3) Le contrefacteur doit réagir à cette offre de manière diligente et sérieuse. S’il n’accepte pas l’offre du titulaire d’un brevet essentiel à une norme, il doit sous un bref délai soumettre à ce dernier une contre-offre écrite raisonnable relative aux clauses avec lesquelles il est en désaccord. L’introduction d’une demande de mesures correctives ou d’une action en cessation ne constitue pas un abus de position dominante si le comportement du contrefacteur est purement tactique et/ou dilatoire et/ou non sérieux.
4) Si les négociations ne sont pas entamées ou n’aboutissent pas, le comportement du contrefacteur présumé ne saurait être considéré comme dilatoire ou non sérieux s’il demande la fixation de conditions FRAND soit par une juridiction, soit par un tribunal arbitral. Dans ce cas, il est légitime de la part du titulaire d’un brevet essentiel à une norme de demander au contrefacteur soit de constituer une garantie bancaire pour le paiement des redevances, soit de déposer une somme provisoire auprès de la juridiction ou du tribunal arbitral pour l’exploitation passée et à venir de son brevet.
5) Le comportement d’un contrefacteur ne saurait non plus être considéré comme dilatoire ou non sérieux lors des négociations d’une licence à des conditions FRAND s’il se réserve le droit, postérieurement à la conclusion d’une telle licence, de contester devant une juridiction ou un tribunal arbitral la validité de ce brevet, son usage de l’enseignement du brevet et le caractère essentiel du brevet à la norme en cause.
6) L’introduction par le titulaire d’un brevet essentiel à une norme d’une demande en justice tendant à la fourniture de données comptables ne constitue pas un abus de position dominante. Il incombe à la juridiction en cause de veiller à ce que la mesure soit raisonnable et proportionnée.
7) L’introduction par le titulaire d’un brevet essentiel à une norme d’une demande de dommages et intérêts pour des actes d’exploitation passés visant uniquement à le dédommager pour les infractions antérieures à son brevet ne constitue pas un abus de position dominante.
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