L’arrêt du 3 novembre de la Cour de Paris se prononce au regard de l’article 52 de la Convention de Munich pour annuler une revendication portant sur une méthode thérapeutique
Deux événements pour comprendre l’intérêt de cette décision :
- Le brevet européen a été déposé le 20 janvier 1992.
- La Cour se réfère à l’acte de révision de la Convention du 29 novembre 2000 et à la décision du Conseil d’Administration de l’OEB du 29 novembre 2000 sur les mesures transitoires.
La procédure rapidement résumée
30 mars 2010 : EL……. assigne ET……. En contrefaçon de la revendication 9 de son brevet européen EP 0 644 755.
13 juillet 2010 : ET……. assigne EL….. devant le Tribunal de grande instance de Paris en nullité de la revendication 9 du brevet européen EP 0 644 755 .
11 janvier 2012 : après jonction des instances, le Tribunal retient la contrefaçon.
3 novembre 2015 : La Cour de Paris infirme le jugement sur la contrefaçon en annulant la revendication 9.
Le texte de la revendication 9 en cause
Utilisation de particules constituées essentiellement d’une substance médicamenteuse portant un modificateur de surface adsorbé sur sa surface en une quantité suffisante pour maintenir une dimension moyenne de particule inférieure à environ 400 nm ou d’une composition pharmaceutique de ces dernières pour la préparation d’un médicament dans le but d’accélérer le début de l’action après l’administration à un mammifère, pour autant que la substance médicamenteuse n’est pas du naproxène ou de l’indométhacine.’
Ce que dit la Cour
- Le rappel de la compétence du juge français
Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article L 614-12 du code de la propriété intellectuelle, la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l’un quelconque des motifs visés à l’article 138, §1 de la Convention de Munich ;
- La thèse de la société qui demande la nullité de la revendication
Considérant que la ET…….. rappelle que la revendication 9 du brevet EP 0 644 755 telle que modifiée par son disclaimer du 18 août 1995, est une revendication dite de ‘type suisse‘ permettant de contourner l’interdiction de breveter une méthode de traitement thérapeutique excluant le naproxène et l’indométhacine déjà enseignés dans le brevet EP 0 499 299 ;
Que devant la cour, elle soulève désormais à titre principal la nullité de la revendication 9 comme portant sur une méthode de traitement non brevetable en rappelant que sous l’empire de l’article 52, §4 de la Convention de Munich dans sa rédaction en vigueur lors du dépôt de la demande de brevet, s’il était possible de contourner l’interdiction de la brevetabilité des méthodes de traitement thérapeutique du corps humain en revendiquant l’utilisation d’un produit connu pour une nouvelle utilisation thérapeutique (dite revendication de ‘type suisse’), la portée de ce format était limitée à l’utilisation du produit connu en cause pour cette seule utilisation thérapeutique spécifique ;
Qu’elle soutient qu’en l’espèce la revendication 9 ne vise pas une substance ou une composition particulière mais vise toutes les substances actives existantes sans préciser leur utilisation thérapeutique puisqu’elle couvre l’utilisation de nanoparticules de n’importe quel médicament pour soigner n’importe quelle maladie, n’importe quel patient, par n’importe quelle voie d’administration et à n’importe quel dosage ;
- La position du breveté
Considérant que la société ( qui vient aux droits de EL …..) réplique que l’accélération du début d’action correspond l’effet technique nouveau puisque l’antériorité constituée par la demande de brevet EP 0 499 299, seul document de l’art antérieur, ne divulgue nullement cet enseignement, ne comprenant qu’un ajout isolé se rapportant au ‘départ d’action plus rapide’ des seuls principes naproxène et indométhacine, exclus de la revendication 9 suite au disclaimer qui a ainsi rétabli la nouveauté de la revendication 9 vis-à-vis de ce passage de la demande de brevet EP 0 499 299 ;
- La motivation de la Cour
Que cette société ne répond toutefois pas davantage au grief de nullité invoqué désormais à titre principal par la ET…… pour défaut de brevetabilité comme portant sur une méthode de traitement bien qu’elle ait indiqué au paragraphe 88, page 33 de ses conclusions : ‘Pour finir, nous dirons un mot sur le grief de «nullité de la revendication 9 car portant sur une méthode de traitement», bricolé en fin de parcours pour remplacer celui, tout aussi exotique, de «nullité de la seconde application thérapeutique»’;
Qu’en effet après avoir articulé ses moyens relatifs à la validité du disclaimer (pages 33 à 37), puis ceux relatifs à la nouveauté de la revendication 9 (pages 37 et 38), ceux relatifs à son activité inventive (page 38) et ceux relatifs à la suffisance de description (pages 39 à 46), ( qui vient aux droits de EL …..) ne répond pas spécifiquement à ce grief puisqu’à la page 39 de ses conclusions elle passe directement au chapitre III portant sur la matérialité de la contrefaçon ;
Considérant que l’article 52, §1 de la Convention de Munich dans sa rédaction en vigueur au 10 juin 1992, dispose que ‘les brevets européens sont délivrés pour les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle’ et que son paragraphe 4 précise que ‘ne sont pas considérées comme des inventions susceptibles d’application industrielle au sens du paragraphe 1, les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal. Cette disposition ne s’applique pas aux produits, notamment aux substances ou compositions, pour la mise en oeuvre d’une de ces méthodes’ ;
Que l’acte de révision de la convention du 29 novembre 2000, entré en vigueur le 13 décembre 2007, a remplacé ce paragraphe par l’article 53, lettre c) excluant désormais de la brevetabilité ‘les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal, cette disposition ne s’appliquant pas aux produits, notamment aux substances ou compostions, pour la mise en oeuvre d’une de ces méthodes’, cet article étant applicable aux brevets européens déjà délivrés à la date de son entrée en vigueur conformément à l’article 1er.1 de la décision du Conseil d’administration de l’OEB du 29 novembre 2000 relative aux dispositions transitoires de l’acte de révision ;
Considérant que l’article 54, §5 dans sa rédaction en vigueur au 10 juin 1992 précise que ‘les dispositions des paragraphes 1 à 4 n’excluent pas la brevetabilité, pour la mise en oeuvre d’une des méthodes visées à l’article 52, paragraphe 4, d’une substance ou composition exposée dans l’état de la technique, à condition que son utilisation pour toute méthode visée audit paragraphe ne soit pas contenue dans l’état de la technique’ ; que selon l’article 1er.3 de la décision du 29 novembre 2000, ce texte demeure applicable aux brevets déjà délivrés à la date de l’entrée en vigueur de l’acte de révision ;
Considérant que sous l’empire de ce texte, un brevet européen peut être délivré pour toute indication médicale ultérieure déterminée d’une substance ou composition connue, pour autant que la revendication soit rédigée sous la forme, dite de ‘type suisse’, de l’application d’un produit en vue d’obtenir un médicament utilisé pour une nouvelle application thérapeutique ;
Qu’il est donc nécessaire qu’une substance spécifique déterminée trouve une nouvelle utilisation thérapeutique se distinguant de l’état de la technique, étant rappelé qu’une simple revendication de procédé portant sur un traitement thérapeutique n’est pas brevetable ;
Considérant qu’en l’espèce la revendication 9 du brevet litigieux porte sur toute substance médicamenteuse, à la seule exclusion du naproxène et de l’indométhacine déjà enseignés par l’état de la technique, dans le seul but d’accélérer le début de son action après son administration à un mammifère ;
Qu’à sa lecture il apparaît ainsi que cette revendication ne vise aucune substance ou composition connue déterminée en vue d’obtenir un médicament destiné à une utilisation thérapeutique déterminée nouvelle ;
Qu’en effet l’accélération revendiquée du début de l’action du médicament n’est qu’un mode d’action d’un médicament, au demeurant non défini, et ne peut être considérée comme une utilisation thérapeutique de ce médicament ;
Qu’il s’ensuit que la revendication 9 n’enseigne qu’un mode accéléré de traitement thérapeutique s’appliquant à toute substance médicamenteuse (à l’exclusion du naproxène et de l’indométhacine) pour soigner toute maladie et s’appliquant à tout patient, quels que soient le mode d’administration du médicament et son dosage ;
Considérant en conséquence que cette revendication sera annulée en application des dispositions des articles 53, lettre c) et 138, §1 de la Convention de Munich et de l’article L 614-12 du code de la propriété intellectuelle, le jugement entrepris étant infirmé en ce qu’il a débouté la ET…….. de ses demandes en nullité de cette revendication ;