Le 11 juin , la Cour de justice se prononce sur le cumul de protection entre brevet et droit d’auteur. L’arrêt est là
- En cause un vélo anciennement breveté.
10 Brompton, société de droit anglais dont le fondateur est SI, commercialise un vélo pliable, vendu sous sa forme actuelle depuis l’année 1987 (ci-après le « vélo Brompton »).
11 Le vélo Brompton, qui a pour particularité de pouvoir occuper trois positions différentes (position pliée, position dépliée et position intermédiaire permettant au vélo de rester en équilibre sur le sol), était protégé par un brevet, aujourd’hui expiré.
- Une question préjudicielle présentée par une juridiction belge qui rappelle la théorie de la multiplicité des formes.
15 Les requérants au principal rétorquent que les trois positions du vélo Brompton peuvent être obtenues par d’autres formes que celles données à ce vélo par son créateur, ce qui impliquerait que sa forme peut être protégée au titre du droit d’auteur.
16 Le tribunal de l’entreprise de Liège fait observer que, en vertu du droit belge, est protégée par le droit d’auteur toute création lorsqu’elle s’exprime sous une forme particulière et qu’elle est originale, ce qui implique qu’un objet utilitaire, tel un vélo, peut être protégé par un droit d’auteur. À cet égard, si les formes imposées par l’obtention d’un résultat technique sont exclues de la protection au titre du droit d’auteur, il demeure qu’il existe un doute lorsqu’un tel résultat peut être obtenu par l’intermédiaire d’autres formes.
- Théorie déjà abandonnée à propos des modèles.
17 Cette juridiction indique que, dans l’arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM (C‑395/16, EU:C:2018:172), intervenu en matière de droit des dessins et modèles, la Cour a interprété l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 en ce sens que, pour apprécier si des caractéristiques de l’apparence d’un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, il y a lieu d’établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, l’existence de dessins ou modèles alternatifs n’étant pas déterminante à cet égard.
18 Elle s’interroge, en conséquence, sur le point de savoir si une solution similaire ne devrait pas être adoptée en matière de droit d’auteur lorsque l’apparence du produit dont la protection est demandée à ce titre, en vertu de la directive 2001/29, est nécessaire pour atteindre un effet technique précis.
- Des considérations uniquement techniques ne peuvent pas offrir une protection par le droit d’auteur.
26 Il en résulte qu’un objet satisfaisant à la condition d’originalité peut bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, quand bien même la réalisation de celui-ci a été déterminée par des considérations techniques, pour autant qu’une telle détermination n’a pas empêché l’auteur de refléter sa personnalité dans cet objet, en manifestant des choix libres et créatifs.
27 À cet égard, il convient de souligner que le critère de l’originalité ne saurait être rempli par les composantes d’un objet qui seraient uniquement caractérisées par leur fonction technique, puisqu’il découle notamment de l’article 2 du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur que la protection au titre du droit d’auteur ne s’étend pas aux idées. Protéger ces dernières par le droit d’auteur reviendrait, en effet, à offrir la possibilité de monopoliser les idées, au détriment, notamment, du progrès technique et du développement industriel (voir, en ce sens, arrêt du 2 mai 2012, SAS Institute, C‑406/10, EU:C:2012:259, points 33 et 40). Or, lorsque l’expression desdites composantes est dictée par leur fonction technique, les différentes manières de mettre en œuvre une idée sont si limitées que l’idée et l’expression se confondent (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Bezpečnostní softwarová asociace, C‑393/09, EU:C:2010:816, points 48 et 49).
28 Dès lors, il convient d’examiner si le vélo pliable en cause au principal est susceptible de constituer une œuvre, bénéficiant de la protection prévue par la directive 2001/29, étant observé que les interrogations de la juridiction de renvoi visent non pas le second élément évoqué au point 22 du présent arrêt, car ce vélo paraît être identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, mais le premier élément.
29 En l’occurrence, il est vrai que la forme que présente ledit vélo apparaît nécessaire à l’obtention d’un certain résultat technique, à savoir l’aptitude de ce vélo à occuper trois positions, dont l’une permet de le maintenir en équilibre sur le sol.
- La théorie de la multiplicité des formes est également écartée en droit d’auteur.
30 Toutefois, il appartient à la juridiction de renvoi de rechercher si, en dépit de cette circonstance, ce vélo constitue une œuvre originale résultant d’une création intellectuelle.
31 À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé aux points 24, 26 et 27 du présent arrêt, tel ne saurait être le cas lorsque la réalisation d’un objet a été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes qui n’ont pas laissé de place à l’exercice d’une liberté créative ou une place à ce point limitée que l’idée et son expression se confondent.
32 Même s’il subsiste une possibilité de choix quant à la forme d’un objet, il ne saurait être conclu que celui-ci relève nécessairement de la notion d’« œuvre », au sens de la directive 2001/29. Pour déterminer si tel est effectivement le cas, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier que les conditions rappelées aux points 22 à 27 du présent arrêt sont satisfaites.
33 Dans le cas où la forme du produit est uniquement dictée par sa fonction technique, ledit produit ne pourrait relever de la protection au titre du droit d’auteur.
34 Dès lors, afin d’établir si le produit concerné relève de la protection au titre du droit d’auteur, il revient à la juridiction de renvoi de déterminer si, à travers ce choix de la forme du produit, son auteur a exprimé sa capacité créative de manière originale en effectuant des choix libres et créatifs et a modelé le produit de sorte qu’il reflète sa personnalité.
35 Dans ce contexte, et dès lors que seule l’originalité du produit concerné doit être appréciée, l’existence d’autres formes possibles permettant d’aboutir au même résultat technique, si elle permet de constater l’existence d’une possibilité de choix, n’est pas déterminante pour apprécier les facteurs ayant guidé le choix effectué par le créateur.
- Quelle utilité pour le brevet dans ce débat ?
36 Quant à l’existence d’un brevet antérieur, aujourd’hui expiré dans l’affaire au principal, ainsi qu’à l’efficacité de la forme pour aboutir au même résultat technique, il n’y aurait lieu d’en tenir compte que pour autant que ces éléments permettent de révéler les considérations qui ont été prises en compte dans le choix de la forme du produit concerné.
Le droit dit par la Cour de justice :
Les articles 2 à 5 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2011, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doivent être interprétés en ce sens que la protection au titre du droit d’auteur qu’ils prévoient s’applique à un produit dont la forme est, à tout le moins en partie, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique lorsque ce produit constitue une œuvre originale résultant d’une création intellectuelle, en ce que, au travers de cette forme, son auteur exprime sa capacité créative de manière originale en effectuant des choix libres et créatifs de sorte que ladite forme reflète sa personnalité, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents du litige au principal.