Différents pouvoirs sont attribués au Juge de la mise en Etat dont celui de la communication des documents et autres informations. Difficile exercice quand des secrets des affaires sont en cause, qu’il s’agit d’atteinte à un CCP, et que le régime d’appel de ses décisions est strictement encadré avec celui du jugement au fond.
Illustration avec l’arrêt du 2 mars 2021 de la Cour de Paris où à propos du CCP en cause, il est dit :
D’autres procédures ont opposé en Europe les sociétés X….. à différents génériqueurs relativement au produit de combinaison ézétimibe et simvastatine.
On peut notamment relever que le tribunal régional de Barcelone par décision du 12 septembre 2018, la cour d’appel de La Haye par décision du 23 octobre 2018, et la cour d’appel de Düsseldorf par décision du 15 mars 2019 ont refusé d’ordonner les mesures sollicitées et jugé que le CCP n°040 est vraisemblablement nul.
La cour d’appel de Borgarting par décision du 21 décembre 2018, et la cour d’appel de Vienne par décision du 10 juillet 2019, ont fait droit aux demandes d’interdiction provisoire formées par les sociétés X….. .
Revenons au Juge français confronté à ces multiples procédures.
12 mars 2020 : L’ordonnance du Juge de la Mise en Etat:
– a dit dépourvus de sérieux les moyens de défense aux fins de nullité manifeste du certificat complémentaire de protection n° 040 dont est titulaire la société X…. ,
En conséquence,
– a ordonné à la société Y………. , sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, de communiquer les noms et adresses des fabricants, grossistes, importateurs et autres détenteurs antérieurs de ces produits, les quantités produites, importées, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, le prix et autres avantages obtenus pour ces produits contrefaisants ;
– a ordonné à la société Y………… ; de communiquer à la société X….. , par écrit et sous une forme appropriée (divisés en trimestres de l’année calendaire), les documents comptables, certifiés par un commissaire aux comptes ou un expert comptable indépendant des parties, indiquant l’étendue des actes de contrefacon précités commis entre avril 2018 et le 2 avril 2019 par la société Y …….. , sous astreinte de 1.000 € par jour de retard ;
– s’est réservé la liquidation des astreintes ;
– a réservé les dépens et les demandes an titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– a rappelé que l’exécution provisoire est de plein droit.
La partie condamnée à produire des documents peut-elle valablement s’y opposer par un appel indépendant de celui du jugement sur le fond en invoquant le secret des affaires ?
L’alternative entre des textes opposés :
La cour rappelle en outre que si les ordonnances du juge de la mise en état ne peuvent être frappées d’appel qu’avec le jugement sur le fond, à l’exception de celles expressément listées par l’article 776 devenu 795 du code de procédure civile, lequel ne comprend pas les ordonnances relatives à une injonction de communication, l’article R. 153-9 II du code de commerce, issu du décret n°2018-1126 du 11 décembre 2018, pris en application de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, dispose : « La décision faisant droit à la demande de communication ou de production de la pièce peut être frappée d’appel indépendamment de la décision au fond dans un délai de quinze jours à compter de la signification de l’ordonnance du juge de la mise en état ou de la date de l’ordonnance du juge chargé d’instruire l’affaire. L’appel est formé, instruit et jugé selon les règles applicables à la procédure avec représentation obligatoire. Il est fait application de l’article 905 du code de procédure civile »
La solution retenue par la Cour de Paris :
En l’espèce, il résulte de l’ordonnance querellée que la société Y……… a demandé au juge de la mise en état de dire que les informations sollicitées par les sociétés X……. relevaient du secret des affaires, et à titre subsidiaire, pour le cas où le juge de la mise en état ferait droit à la demande d’information, a sollicité le renvoi à une audience pour permettre aux parties d’échanger sur les modalités des mesures de protection du secret des affaires à mettre en oeuvre.
Le juge de la mise en état a statué sur les moyens opposés par la société Y………… relatifs au secret des affaires, et au visa de l’article L. 151-8 du code de commerce, issu de la loi du 30 juillet 2018 susvisée, aux termes duquel ‘A l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue :
(..) 3° pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national’, a dit que la protection des droits de propriété intellectuelle constitue la protection d’un intérêt légitime, et a fait droit en conséquences aux demandes d’information sous astreinte de la société X……. .
Il résulte de ces éléments que l’ordonnance entreprise, qui a rejeté le moyen opposé au titre de du secret des affaires, et a ordonné la communication d’informations relatives notamment aux fournisseurs, fabricants, quantités et prix des produits fabriqués, importés et commercialisés ainsi que de documents comptables, constitue une décision faisant droit à une demande de communication ou de production de pièce, au sens de l’article R. 153-9 II du code de commerce susvisé, disposition spéciale qui doit prévaloir sur la disposition générale de l’article 795 du code de procédure civile relatif aux ordonnances du juge de la mise en état. Il est à cet égard sans importance que la production de ces informations et documents a été ordonnée sur le fondement de l’article L. 615-5-2 du code de la propriété intellectuelle, qui n’est pas exclusif de la mise en oeuvre des dispositions relatives au secret des affaires, étant observé au surplus qu’il n’y a pas à distinguer entre les informations et les pièces, pareillement visées sans distinction tant par l’article relatif au droit à l’information que par les dispositions relatives au secret des affaires.
Il s’ensuit que l’ordonnance entreprise peut être frappée d’appel, indépendamment de la décision sur le fond, et que l’appel de la société Y …….. , interjeté à l’encontre de tous les chefs du dispositif de la décision, est donc recevable sans être limité aux modalités des mesures de communication des informations ordonnées.
Coup de théâtre :
………. par arrêt du 25 septembre 2020, la cour d’appel de Paris a prononcé la nullité du CCP n°040. Il n’est pas contesté, que cet arrêt n’étant susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution, il a force de chose jugée au sens de l’article 500 du code de procédure civile, et a un effet absolu en application de l’article L.613-27 du code de la propriété intellectuelle, de sorte que le CCP n°040, sur le fondement duquel l’ordonnance entreprise a été rendue, est nul.
Les demandes d’information sollicitées sur la base dudit CCP doivent donc être rejetées, et l‘ordonnance entreprise infirmée en toutes ses dispositions.