Tout change avec l’arrêt du 25 février 2025 de la Cour de justice rendu par la Grande Chambre dans une affaire de brevet. L’arrêt.
Cette décision est d’autant plus importante qu’elle porte sur les brevets nationaux des États membres de l’Union et ceux des États tiers à l’Union.
Ce double impact se mesure à la position du Gouvernement français rapportée aux conclusions de l’Avocat Général.
110. En outre, comme l’observe le gouvernement français, le système établi par les articles 24 et 25 du règlement Bruxelles I bis, en vertu duquel les juridictions des États membres sont tenues de se dessaisir en faveur des juridictions désignées par ces dispositions, n’a de sens que pour les litiges « intra-Union ». Dans ces circonstances, en vertu de ce règlement, quand une juridiction n’est pas compétente, une autre l’est. Tel n’est pas le cas en ce qui concerne les litiges « externes ». Comme je l’ai mentionné plus haut, la compétence des juridictions d’un État tiers dépend de ses propres règles de droit international privé. Tandis que ces juridictions se considèrent généralement comme compétentes lorsque la question litigieuse est étroitement liée à leur territoire, ou lorsqu’elles ont été choisies dans le cadre d’un accord d’élection de for, cela peut ne pas toujours être le cas. Si les juridictions des États membres étaient privées de compétence dans une telle situation, il y aurait un déni de justice. Par ailleurs, l’obligation stricte, quasi automatique, pour les juridictions de l’État membre de renvoyer les parties au litige devant d’autres juridictions en vertu des articles 24 et 25 de ce règlement est justifiée par la « confiance mutuelle » que ces États accordent à leurs institutions judiciaires respectives (97). Cette « confiance » ne s’étend pas aux États tiers. Il ne saurait être présumé que les parties au litige bénéficieraient d’un procès équitable dans un tel État. Cela peut même être exclu dans certains cas.
A) La lecture classique du règlement (UE) n° 1215/2012 (règlement Bruxelles I bis).
1. Compétence exclusive :
Les juridictions de l’État membre où le brevet a été demandé, délivré ou enregistré sont exclusivement compétentes pour les litiges concernant l’inscription ou la validité des brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues.
2. Voie d’action ou d’exception :
Cette compétence exclusive s’applique que la question de l’inscription ou de la validité soit soulevée par voie d’action (demande principale) ou par voie d’exception (moyen de défense).
3. Brevet européen :
Pour les brevets européens, les juridictions de chaque État membre sont seules compétentes en matière d’inscription ou de validité du brevet délivré pour cet État membre, sans préjudice de la compétence de l’Office européen des brevets (OEB).
4. Non-application aux juridictions d’États tiers :
L’article 24, point 4, ne s’applique pas aux juridictions d’États autres que celui où le brevet est en vigueur et ne leur confère aucune compétence exclusive ou non pour statuer sur la validité des brevets délivrés ou validés par ces autres États.
B) Le changement pour tous les titulaires de ces droits de propriété industrielle
Effets inter partes : Lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’une action en contrefaçon d’un brevet délivré ou validé dans un autre État, elle est compétente pour statuer sur la validité de ce brevet soulevée par voie d’exception, mais sa décision n’affecte pas l’existence ou le contenu du brevet dans cet autre État.
Ce que dit précisément la Cour de justice à propos des deux situations, celle où le brevet est accordé dans un autre État membre de l’Union et celle où le brevet accordé l’est dans un État tiers à l’Union.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) L’article 24, point 4, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,
doit être interprété en ce sens que :
une juridiction de l’État membre du domicile du défendeur, saisie en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, d’une action en contrefaçon d’un brevet délivré dans un autre État membre, reste compétente pour connaître de cette action lorsque, dans le cadre de celle-ci, ce défendeur conteste, par voie d’exception, la validité de ce brevet, alors que la compétence pour statuer sur cette validité appartient exclusivement aux juridictions de cet autre État membre.
2) L’article 24, point 4, du règlement no 1215/2012
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’applique pas à une juridiction d’un État tiers et, par conséquent, ne confère aucune compétence, exclusive ou non, à une telle juridiction en ce qui concerne l’appréciation de la validité d’un brevet délivré ou validé par cet État. Si une juridiction d’un État membre est saisie, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, d’une action en contrefaçon d’un brevet délivré ou validé dans un État tiers dans le cadre de laquelle est soulevée, par voie d’exception, la question de la validité de ce brevet, cette juridiction est compétente, en application de cet article 4, paragraphe 1, pour statuer sur cette exception, sa décision à cet égard n’étant pas de nature à affecter l’existence ou le contenu dudit brevet dans cet État tiers ou à entraîner la modification du registre national de celui-ci.