Le rejet par la Cour de justice des recours de l’Espagne contre le brevet unitaire

Le 5 mai 2015 par deux arrêts, La Grande Chambre de la Cour de Justice a rejeté les recours de l’Espagne contre le brevet unitaire.  C-146/13 et C-147/13

Sur la demande de L’Espagne en annulation du règlement (UE) n° 1257/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2012, mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet. Deux points sont ici relevés

  • Sur le droit applicable aux brevets unitaires

46      À cet égard, la désignation d’un seul droit national applicable sur le territoire de l’ensemble des États membres participants, dont les dispositions de droit matériel définissent les actes contre lesquels un BEEU confère une protection ainsi que les caractéristiques de celui-ci en tant qu’objet de propriété, permet de garantir le caractère uniforme de la protection ainsi conférée.

47      En effet, à la différence des brevets européens octroyés conformément aux règles fixées par la CBE, qui assurent, dans chacun des États parties à cette convention, une protection dont la portée est définie par le droit national de chaque État, l’uniformité de la protection conférée par le BEEU résulte de l’application des articles 5, paragraphe 3, et 7 du règlement attaqué, qui garantissent que le droit national désigné sera d’application sur le territoire de l’ensemble des États membres participants dans lesquels ce brevet a un effet unitaire.

48      S’agissant de l’argument du Royaume d’Espagne, selon lequel le règlement attaqué est «dépourvu de contenu matériel», il convient de relever, à l’instar de M. l’avocat général au point 89 de ses conclusions, que, en évoquant l’établissement de «mesures relatives à la création de titres européens pour assurer une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle dans l’Union», l’article 118 TFUE, qui fait partie du chapitre 3 du titre VII du traité FUE relatif au «rapprochement des législations», n’exige pas nécessairement du législateur de l’Union qu’il procède à une harmonisation complète et exhaustive de tous les aspects du droit de propriété intellectuelle.

49      Or, nonobstant l’absence d’énumération, dans le règlement attaqué, des actes contre lesquels le BEEU assure une protection, une telle protection n’en demeure pas moins uniforme dans la mesure où, indépendamment de l’étendue exacte de la protection matérielle conférée par un BEEU en vertu du droit national applicable, conformément à l’article 7 du règlement attaqué, celle-ci sera d’application, pour ce BEEU, sur le territoire de l’ensemble des États membres participants dans lesquels ledit brevet a un effet unitaire.

  • La combinaison du brevet unitaire et de la Juridiction Unifiée du Brevet (JUB)

A propos de l’argument selon lequel « ….les dispositions de l’accord JUB ne sont pas compatibles avec le droit de l’Union et, d’autre part, que les États membres participants ne peuvent ratifier l’accord JUB sans méconnaître leurs obligations découlant du droit de l’Union.

101    Or, il convient de rappeler que, dans le cadre d’un recours introduit au titre de l’article 263 TFUE, la Cour n’est pas compétente pour statuer sur la légalité d’un accord international conclu par des États membres.

102    Dans le cadre d’un tel recours, le juge de l’Union n’est pas davantage compétent pour statuer sur la légalité d’un acte pris par une autorité nationale.

A propos des trois langues du brevet unitaire et des traductions, la demande en annulation du règlement (UE) n° 1260/2012 du Conseil, du 17 décembre 2012, mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet. Là aussi deux points sont à citer.

  • La mise en œuvre d’outils pour accéder aux traductions.

43     ….il y a lieu de souligner que le Conseil a prévu la mise en place de plusieurs mécanismes aux fins de garantir le nécessaire équilibre entre les intérêts des demandeurs de BEEU et ceux des autres opérateurs économiques pour ce qui concerne l’accès aux traductions des documents accordant des droits ou les procédures impliquant plusieurs opérateurs économiques.

44      Ainsi, tout d’abord, afin de faciliter l’accès au BEEU, et notamment de permettre aux demandeurs de déposer devant l’OEB leurs demandes dans n’importe quelle langue de l’Union, l’article 5 du règlement attaqué prévoit un système de compensation pour le remboursement des coûts de traduction jusqu’à un certain plafond pour certains demandeurs, notamment les petites et moyennes entreprises, qui déposent leur demande de brevet auprès de l’OEB dans une langue officielle de l’Union autre que l’une des langues officielles de l’OEB.

45      Ensuite, aux fins de limiter les désavantages pour les opérateurs économiques qui ne disposeraient pas des moyens de comprendre, avec un certain degré d’expertise, des documents rédigés en langues allemande, anglaise ou française, le Conseil a prévu, à l’article 6 du règlement attaqué, une période transitoire, d’une durée maximale de douze ans, jusqu’à ce qu’un système de traduction automatique de haute qualité soit disponible dans toutes les langues officielles de l’Union. Pendant cette période de transition, toute demande d’effet unitaire doit être accompagnée soit d’une traduction en langue anglaise de l’intégralité du fascicule, si la langue de la procédure est la langue allemande ou la langue française, soit d’une traduction de l’intégralité du fascicule dans une autre langue officielle de l’Union, si la langue de la procédure est la langue anglaise.

46      Enfin, afin de protéger les opérateurs économiques qui ne disposeraient pas des moyens de comprendre, avec un certain degré d’expertise, l’une des langues officielles de l’OEB, le Conseil a prévu, à l’article 4 du règlement attaqué, plusieurs dispositions applicables en cas de litige, qui visent, d’une part, à permettre à de tels opérateurs, lorsqu’ils sont suspectés de contrefaçon, d’obtenir, dans les conditions prévues à cet article, une traduction intégrale du BEEU et, d’autre part, en cas de litige concernant une demande de dommages et intérêts, à ce que la juridiction saisie évalue et tienne compte de la bonne foi d’un prétendu contrefacteur.

  • Sur le rôle de l’OEB

59      Selon les articles 143 et 145 de la CBE, un groupe d’États contractants faisant usage des stipulations de la neuvième partie de la CBE peut confier des tâches à l’OEB.

60      C’est aux fins de mettre en œuvre lesdites dispositions que l’article 9, paragraphe 1, sous d) et f), du règlement n° 1257/2012 dispose que les États membres participants confient à l’OEB les tâches, d’une part, de publier les traductions visées à l’article 6 du règlement attaqué durant la période de transition visée à ce même article et, d’autre part, de gérer le système de compensation pour le remboursement des coûts de traduction visé à l’article 5 de ce règlement.

61      Or, ces tâches sont intrinsèquement liées à la mise en œuvre de la protection unitaire conférée par un brevet, créée par le règlement n° 1257/2012 et dont les modalités de traduction sont fixées par le règlement attaqué.

62      Il y a dès lors lieu de considérer que le fait de confier à l’OEB des tâches supplémentaires résulte de la conclusion par les États membres participants, en leur qualité de parties contractantes de la CBE, d’un accord particulier au sens de l’article 142 de cette convention.

63      Dès lors que, contrairement à ce qu’affirme le Royaume d’Espagne, le Conseil n’a pas délégué aux États membres participants ou à l’OEB des compétences d’exécution qui lui appartiendraient en propre en vertu du droit de l’Union, les principes dégagés par la Cour dans l’arrêt Meroni/Haute Autorité (9/56, EU:C:1958:7) ne sauraient trouver à s’appliquer.

64      Il s’ensuit qu’il y a lieu d’écarter le deuxième moyen.

 

2 thoughts on “Le rejet par la Cour de justice des recours de l’Espagne contre le brevet unitaire

  1. C’est un peu hors sujet, mais en son temps vous aviez posé la question de l’avenir du brevet unitaire en cas de BREXIT…
    Quel est votre avis aujourd’hui?

    1. Bonjour,

      Deux aspects caractéristiques du système du brevet unitaire sont mis en évidence dans cet arrêt .

      A défaut d’un système unique ( exit le brevet communautaire de 1975), en théorie, il y aura autant de régimes juridiques applicables à la propriété et à l’atteinte au brevet que d’Etats participants. En pratique, il y a aura certainement des régimes juridiques nationaux plus souvent utilisés que d’autres (Voir par exemple,http://www.village-justice.com/articles/Juridiction-Unifiee-creee-brevet,13794.html ) , d’où des conséquences pour les praticiens ..

      L’autre point est capital, mais curieusement à ce jour mal évalué : un système hors du contrôle de la Cour de justice sauf de manière indirecte quand les Etats manqueront à leurs obligations communautaires fondamentales. Certes, nombreux ( les CPI dans leur grande majorité ) sont ceux qui ne jurent que par l’OEB, mais le système du brevet unitaire et celui de la juridiction unifiée du brevet qui, à priori, devraient fonctionner ensemble et qui ( la JUB) s’appliquera aussi aux brevets européens, reposeront sur un équilibre subtil ( voir la consultation de l’OEB sur les Chambres d’appel https://www.epo.org/news-issues/news/2015/20150430_fr.html) entre cet office et les juges. En pratique, combien de brevets délivrés par l’OEB se trouveront annulés ? A quel pourcentage d’annulation fixez-vous le test d’indépendance/autonomie ? Que pensent de l’OEB nos amis anglais ( « fascinating insights into human discourse » voir IPKAT http://ipkitten.blogspot.fr/2015/05/european-patent-office-oral-proceedings.html ) qui jugeront la pharmacie.

      Bonne journée
      Philippe Schmitt

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