Sept arrêts de la Cour de cassation sont rendus le 1er février 2023.
- Trois décisions de sursis dans l’attente des arrêts de la Cour de justice saisie par une juridiction finlandaise et par une juridiction irlandaise.
- Deux cassations contre des arrêts qui avaient rejeté le recours contre la décision de l’INPI.
- Néanmoins, les motifs de cassation portent dans les deux fois sur la prise en compte d’un article scientifique produit pour la première fois en appel.
- Ces deux arrêts de cassation écartent également, « l’indice robuste de la complexité des recherches », – le délai dans ces deux affaires de 3 ou 5 ans nécessaires pour qu’un nouveau brevet soit déposé sur le principe actif- , que la Cour de Paris avait relevé pour considérer que le principe actif n’est pas spécifiquement identifiable par l’homme du métier à la date du dépôt du brevet de base. À la lecture des deux autres arrêts de rejet, il n’est pas certain que l’abandon de cet indice sauve ces demandes de CCP.
1. Pourvoi n° 18-21.903
Arrêt de la Cour d’appel de Paris au pourvoi : 26 juin 2018 (demande en interdiction provisoire)
Parties : Organon France, Organon LLC (aux droits de MSD) / Biogaran
CCP n° 03C0028, expirant le 17 avril 2018, pour le principe actif ézétimibe (le CCP 028), au vu d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) obtenue en France, le 11 juin 2003, pour le médicament « Ezetrol » ayant l’ézétimibe pour seul principe actif.
CCP n° 05C0040, expirant le 2 avril 2019, pour la combinaison d’ézétimibe et de simvastatine (le CCP 040), au vu d’une AMM obtenue en France, le 28 juillet 2005, pour le médicament « Inegy » constitué de cette combinaison.
Le sursis est ordonné par la Cour de cassation.
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Le 17 février 2022, un tribunal de commerce de Finlande a, par renvoi préjudiciel enregistré sous le numéro C-119/22, saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’une demande d’interprétation de l’article 3, sous a) et c), du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments.
9. Le 2 mars 2022, la cour suprême d’Irlande a, par renvoi préjudiciel enregistré sous le numéro C-149/22, saisi la Cour de justice d’une demande d’interprétation de la même disposition.
10. La réponse que la Cour de justice apportera à ces demandes est de nature à influer sur l’issue du présent pourvoi, lequel fait grief à la cour d’appel d’avoir violé ladite disposition.
11. Dès lors, il convient de surseoir à statuer dans l’attente des arrêts de la Cour de justice dans les affaires C-119/22 (Teva et Teva Finland) et C-149/22 (Merck Sharp & Dohme Corp.)
2. Pourvoi 19-16.741
Arrêt de la Cour d’appel au pourvoi : 22 janvier 2019 ( la Cour d’appel avait rejeté le recours)
Parties : Merck Sharp & Dohme Corp / INPI
Décision de l’INPI : rejet le 5 février 2018 de la demande de CCP déposée le 12 septembre 2014 sur la base du brevet EP 599 et d’une AMM obtenue en France le même jour pour la combinaison d’ézétimibe et d’atorvastatine sous le nom de médicament « Liptruzet ».
Le sursis est ordonné par la Cour de cassation dans les mêmes termes qu’au pourvoi 18-21.903.
3 Pourvoi n° 20-20.904
Arrêt de la Cour d’appel de paris au pourvoi : 25 septembre 2020 (demande en annulation du CCP)
Parties : Organon LLC (aux droits de la société Merck Sharp & Dohme Corp.) Teva Santé, Teva Pharmaceuticals Europe BV
Les deux CCPs indiqués au pourvoi n° 18-21.903
Le sursis est ordonné par la Cour de cassation dans les mêmes termes qu’au pourvoi 18-21.903.
4.Pourvoi n° 21-13.663
Arrêt de la Cour d’appel de Paris au pourvoi : 19 janvier 2021 de la Cour de Paris ( la Cour d’appel avait rejeté le recours)
Parties : Ono Pharmaceutical co.Ltd, M. [Y] [N] / INPI
Décision de l’INPI : rejet le 2 mars 2018 de la demande du 6 janvier 2016 n° 16C0001 portant sur le produit pembrolizumab sur la base du brevet européen déposé le 2 juillet 2003 et publié sous le n° EP 1 537 878 (le brevet EP 878).
Vu l’article L. 411-4 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 :
7. Il résulte de ce texte que la cour d’appel, saisie d’un recours en annulation d’une décision du directeur général de l’INPI, devant se placer dans les conditions qui étaient celles existant au moment où celle-ci a été prise, ne peut prendre en compte les pièces nouvelles produites devant elle.
8. Pour retenir que l’identification du pembrolizumab dans le brevet de base nécessitait une activité inventive autonome et rejeter en conséquence le recours formé contre la décision du directeur général de l’INPI ayant refusé d’accorder un CCP sur ce produit, la cour d’appel s’est fondée, notamment, sur un article scientifique produit pour la première fois devant elle.
9. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé
Également, le délai entre un brevet déposé par un tiers sur ce même principe actif n’est plus un « indice robuste »
- Après avoir constaté que le pembrolizumab était implicitement et nécessairement visé par le brevet en ce qu’il relève de la définition fonctionnelle du produit, l’arrêt retient qu’il a fallu cinq années à un tiers pour déposer un brevet concernant spécifiquement le pembrolizumab, ce brevet mentionnant trois inventeurs et comportant 21 revendications précisant les séquences des anticorps se liant au PD-1 humain et correspondant au pembrolizumab. Il en déduit que le temps nécessaire au dépôt de ce brevet constitue un indice robuste de la complexité des recherches à effectuer et de la nécessité de procéder, à partir du brevet EP 878, à une « activité inventive autonome » au sens de la jurisprudence Royalty Pharma Collection Trust. Il ajoute que la preuve n’est ainsi pas rapportée que le pembrolizumab était spécifiquement identifiable par l’homme du métier à partir de ses connaissances et de l’état de la technique à la date du dépôt.
- En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, d’une part, si les procédés de fabrication des anticorps monoclonaux étaient bien connus de l’homme du métier à la date du dépôt de la demande du brevet EP 878 et si ce dernier, dans sa description, décrivait comment cribler les anticorps concernés pour identifier ceux qui remplissent la fonction de l’invention, à savoir ceux qui inhibent « le signal immunosuppresseur de PD-1 », d’autre part, si l’homme du métier pouvait ainsi, à la lecture du brevet et grâce à ses connaissances générales, obtenir, par une opération de routine tous les anticorps remplissant la fonction visée par le brevet, y compris le pembrolizumab, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
5.Pourvoi n° M 21-13.664
Arrêt de la Cour d’appel de Paris au pourvoi :19 janvier 2021 ( la Cour d’appel avait rejeté le recours)
Parties : Ono Pharmaceutical co.Ltd, M. [C] [P] / INPI
Décision de l’INPI: 2 mars 2018 rejet de la demande de CCP n° 15C0088 du 15 décembre 2015 portant sur le produit nivolumab sur la base du brevet européen déposé le 2 juillet 2003, publié sous le n° EP 1 537 878 (le brevet EP 878) et invoquant l’AMM communautaire accordée le 19 juin 2015 sous le n° EU/1/15/1014, pour une spécialité pharmaceutique dénommée « Opdivo-Nivolumab », qui a pour principe actif le nivolumab.
Même analyse que ci-dessus à propos de l’article produit devant la Cour d’appel.
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Il résulte de ce texte que la cour d’appel, saisie d’un recours en annulation d’une décision du directeur général de l’INPI, devant se placer dans les conditions qui étaient celles existant au moment où celle-ci a été prise, ne peut prendre en compte les pièces nouvelles produites devant elle.
16. Pour retenir que l’identification du nivolumab dans le brevet de base nécessitait une activité inventive autonome et rejeter en conséquence le recours formé contre la décision du directeur général de l’INPI ayant refusé d’accorder un CCP sur ce produit, la cour d’appel s’est fondée, notamment, sur un article scientifique produit pour la première fois devant elle.
17. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
Également « l’indice robuste » est écarté, le délai du brevet ultérieurement déposé est de 3 ans
- Après avoir constaté que le nivolumab était implicitement et nécessairement visé par le brevet en ce qu’il relève de la définition fonctionnelle contenue dans les revendications du brevet, l’arrêt retient qu’il a fallu trois années à la société Ono, en partenariat avec une autre société, pour déposer son brevet EP 336 concernant spécifiquement le nivolumab, ledit brevet mentionnant sept inventeurs et comportant 25 revendications précisant les séquences des anticorps se liant au PD-1 humain, comprenant six régions hypervariables définissant précisément la microstructure complète du nivolumab. Il en déduit que le temps nécessaire au dépôt de ce brevet constitue un indice robuste de la complexité des recherches à effectuer et de la nécessité de procéder, à partir du brevet EP 878, à une « activité inventive autonome » au sens de la jurisprudence Royalty Pharma Collection Trust. Il ajoute que la preuve n’est ainsi pas rapportée que le nivolumab était spécifiquement identifiable par l’homme du métier à partir de ses connaissances et de l’état de la technique à la date du dépôt
6.Pourvoi n° 21-15.221
Arrêt de la Cour d’appel de Paris au pourvoi : 15 décembre 2020 (la Cour d’appel avait rejeté le recours)
Parties : Halozyme Inc. / INPI
Décision de l’INPI : 7 mars 2018, rejet de la demande de certificat complémentaire de protection n° 15C0053 (CCP n° 053) pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante » avec pour brevet de base, la partie française du brevet européen déposé le 5 mars 2004, publié sous le n° EP 2163643 (EP 643) sous le titre « Glycoprotéine d’hyaluronidase soluble, son procédé de préparation, utilisations et compositions pharmaceutiques le comportant », , et une AMM communautaire délivrée le 26 août 2013 pour la formulation sous-cutanée d’un médicament anti-cancéreux dénommé « Herceptin », constituée de la combinaison de trastuzumab, anticorps monoclonal présenté dans l’AMM comme le « principe actif », et de hyaluronidase humaine recombinante, présentée comme un « excipient ».
La Cour de cassation rejette le pourvoi.
Dans son arrêt du 15 janvier 2015 (Forsgren, C-631/13), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que « l’article 1er, sous b), du règlement n° 469/2009 doit être interprété en ce sens qu’une protéine vectrice conjuguée à un antigène polysaccharidique au moyen d’une liaison covalente ne peut être qualifiée de « principe actif », au sens de cette disposition, que s’il est établi que celle-ci produit un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques de l’autorisation de mise sur le marché, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier au regard de l’ensemble des circonstances de fait caractérisant le litige au principal. »
9. Il en résulte que lorsque l’AMM ne qualifie pas une substance de « principe actif », il est présumé de façon réfragable que cette substance ne produit pas d’effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques visées par cette AMM.
7.Pourvoi n° 21-17.773
Arrêt de la Cour de Paris au pourvoi : 9 février 2021 ( la Cour d’appel avait rejeté le recours )
Parties : Wyeth LLC, The General Hospital Corporation /INPI
Décision de l’INPI : 1er août 2019, rejet de la demande de CCP déposée le 26 juillet 2016 n° 16C1004 portant sur le produit osimertini sur la base du brevet européen EP 1 848 414 (le brevet EP 414) intitulé « Méthode de traitement du cancer résistant au gefitinib », et de l’AMM octroyée le 2 février 2016 sous le n° EU/1/16/1086 pour la spécialité pharmaceutique « Tagrisso », ayant pour principe actif l’osimertinib,
La Cour de cassation rejette le pourvoi.
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L’arrêt, après avoir retenu que l’osimertinib répondait à la définition fonctionnelle générale employée par la revendication n° 23 du brevet EP 414 et relevait nécessairement de l’invention couverte par ce brevet, a néanmoins estimé que ce produit était inconnu pour l’homme du métier à la date du dépôt du brevet et que celui-ci ne pouvait le déduire directement et sans équivoque dudit brevet, faisant ainsi ressortir que l’osimertinib n’était pas spécifiquement identifiable par l’homme du métier, sur la base de ses connaissances générales dans le domaine considéré et de l’état de la technique à la date de dépôt ou de priorité du brevet.
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Par ces seuls motifs, dont il se déduit que l’osimertinib ne relève pas de l’objet de la protection du brevet de base invoqué, la cour d’appel a légalement justifié sa décision de ce chef.