Peut-il y avoir copie servile d’un appareil par ailleurs protégé par un brevet dont la contrefaçon est rejetée pour absence de preuves ?
L’action en concurrence déloyale n’est peut-être pas toujours un subsidiaire comme disent les avocats à une action en contrefaçon. Illustration avec l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 février 2015 qui après avoir rejeté l’action en contrefaçon pour absence de preuve, retient des actes de concurrence déloyale pour copie servile.
-
Tout d’abord, le rejet de la demande en contrefaçon de brevet pour absence de preuve.
Considérant que, selon la revendication 1 du brevet, le clapet objet de l’invention, est constitué d’un anneau et d’un battant ainsi que d’une seconde pièce <<globalement cylindrique, portant une première collerette>>,et caractérisé en ce que :
-cette seconde pièce porte une seconde collerette externe, disposée à une distance de la 1ère collerette supérieure à l’épaisseur de l’anneau,
-le diamètre de la portion de la seconde pièce comprise entre les deux collerettes est inférieur au diamètre intérieur de l’anneau, la 1ère pièce étant montée sur la seconde pièce en positionnant ledit anneau entre lesdites collerettes ;
Que les parties s’opposent sur le fait qu’il serait, ou non, établi que le clapet argué de contrefaçon reproduirait un diamètre de la portion de la seconde pièce, comprise entre les deux collettes, inférieur au diamètre intérieur de l’anneau, ce qui constitue un des moyens de la combinaison couverte par le brevet ;
…
Considérant qu’il s’infère de l’ensemble de ces éléments d’appréciation qu’il n’est pas certain que la différence de diamètre revendiquée soit reproduite ; qu’en conséquence, faute d’établir que l’ensemble de la combinaison telle que revendiquée est contrefaite, la contrefaçon de la revendication 1 ne s’avère pas suffisamment caractérisée et ne saurait être retenue ;
Considérant que, dès lors, la société SFA est mal fondée à prétendre qu’il y aurait contrefaçon des revendications dépendantes 2 à 9 du brevet ; qu’en effet la contrefaçon de revendications dépendantes suppose, contrairement à ce qu’elle allègue, que l’ensemble des moyens couverts par la revendication principale soient reproduits, ces revendications ne faisant qu’ajouter des caractéristiques au clapet tel que caractérisé dans la revendication 1;
-
Mais la copie servile est retenue.
Considérant que la société SFA maintient que le broyeur litigieux SENSEA-EOLE serait une copie servile de son broyeur ‘SANIPRO XR’, que la présentation du produit serait trompeuse compte tenu en particulier d’une mention ‘Made in France’ s’agissant d’un produit importé de Chine et de l’attribution d’une conformité à la norme européenne EN 12050-3 ; qu’enfin la notice du broyeur litigieux reproduirait fautivement celle de son broyeur ‘SANIBROYEUR PLUS’ ;
Que les premiers juges ont admis le bien fondé de ces griefs formellement contestés par les appelantes ;
Considérant, ceci exposé, qu’il résulte de la comparaison à laquelle la cour a procédé que l’apparence extérieure des broyeurs SANIPRO XR et SENSEA-EOLE n’est pas identique (quant aux dimensions, à la forme de la cuve et du couvercle, et à la disposition des orifices du couvercle), tout comme celle de leurs emballages (quant à leur présentation) ; que, néanmoins, le couvercle du produit commercialisé (destiné à être installé) ne s’avère pas difficilement ouvrable, et l’ensemble moteur-pompe, certes non immédiatement visible puisque situé à l’intérieur de la cuve, s’avère similaire et comporter des pièces manifestement interchangeables ;
Que cette circonstance, même si elle concerne des pièces techniques non protégées par des droits privatifs ne peut qu’inciter le consommateur, qui entend installer ce type de produit et qui est ainsi naturellement conduit à s’intéresser à la présentation du bloc moteur et des pièces devant être assemblées, éléments essentiels du fonctionnement du broyeur (les appelantes qualifiant au demeurant la pompe et le moteur d’élément actif du sanibroyeur en page 16/27 de leurs écritures), à croire, nonobstant une légère modification de l’apparence des contenants, les appareils proviennent d’entreprises économiquement liées ;
Considérant que ce risque est d’autant plus important que ce consommateur n’ignore pas que les pièces techniques composant cet ensemble peuvent présenter des formes très diverses, tout comme l’aspect extérieur de l’appareil, ainsi que le montre la pièce 18 produite par la société SFA, et ce, nonobstant les contrainte s tenant à l’emplacement des sanibroyeurs (espace disponible entre le siège des toilettes et le mur sous la chasse d’eau) ;
Que ce risque de confusion, qui comporte celui d’association, est, en outre, conforté pour le public concerné par le fait que la notice SENSEA-EOLE est effectivement très proche de celle d’un autre broyeur de la société SFA (dénommé SANIBROYEUR PLUS),ce qui n’est au demeurant pas sérieusement contesté, étant observé qu’il importe peu que cette notice, incluse dans les emballages du produit incriminé, ait été rédigée par un tiers dès lors qu’il n’est pas contesté qu’il s’agit de produits importés par la société CERIT et distribués par la société INNOSANIT dont le nom est apposé au bas de cette notice ;
Considérant que le jugement entrepris ne peut, en conséquence, qu’être approuvé en ce qu’il a retenu de ces chefs un risque de confusion entre les produits en cause ;
Considérant que l’existence d’une pratique trompeuse, à raison de l’apposition sur l’emballage du broyeur incriminé de la mention ‘Made in France‘, n’est par ailleurs pas discutée et le jugement sera confirmé sur ce point ;
Considérant, enfin, que le conditionnement du broyeur incriminé indique que le produit est conforme aux normes européennes en vigueur et le produit présente une étiquette mentionnant la norme EN n’est cependant pas établi que l’appareil en cause a été soumis à l’essai d’homologation prévu à l’article 9-1 de cette norme (les appelantes n’invoquant qu’un certificat de conformité à une directive 2004/208 concernant la partie électrique et non l’appareil), ni que cet essai serait facultatif, les appelantes n’apportant aucun élément nouveau devant la cour alors que les premiers juges, par des motifs pertinents qu’elle approuve, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties sur cette question ;
Considérant qu’il convient, en conséquence, de confirmer la décision déférée en ce qu’elle a retenu que l’ensemble des agissements ainsi retenus ne relèvent pas de l’exercice régulier de la liberté du commerce mais constituent des actes de concurrence déloyale ;
-
Des actes de parasitisme sont sanctionnés également.
Considérant qu’en cause d’appel la société SFA produit le détail de l’estimation de ses investissements qui serait en cours de certification (cette dernière n’étant toutefois pas versée au débat) et maintient que les appelantes tentent de profiter indûment de la réputation de ses broyeurs, ce que ces dernières dénient aux motifs que la structure et le fonctionnement d’un broyeur seraient essentiellement imposées par sa fonction ;
Considérant à cet égard, qu’il a été précédemment rappelé qu’il existe sur le marché des broyeurs de forme et d’apparence très différents, y compris dans leurs éléments techniques, alors qu’ils doivent répondre aux mêmes impératifs fonctionnels ;
Qu’il est suffisamment établi par les pièces versées au débat que la société SFA a consacré des efforts pour la conception et la promotion de son broyeur ‘SANIPRO XR’, même si ce broyeur est présenté avec d’autres produits et non comme un ‘produit phare’ sur son site internet (pièce 2) ; qu’elle vend son produit pour un prix public d’au moins 600 euros (prix moyen d’environ 727 euros, selon copies d’écran d’autres sites internet du 21avril 2011 produites en pièce 17) ;
Que les appelantes, qui commercialisent leur produit au prix de 249 euros (prix public unitaire selon constat d’achat précité), lequel reproduit, en particulier, le bloc moteur du produit de la société SFA, ont incontestablement pu sans bourse délier bénéficier des qualités substantielles d’un produit déjà mis au point et connu ; qu’elles se sont ainsi placées dans le sillage de la société SFA, démarche fautive qui caractérise à leur encontre des actes de parasitisme, même s’il n’est pas démontré que la qualité de leurs produits serait en outre défaillante et attentatoire à l’image de la société SFA ;
….
Des condamnations indemnitaires sont prononcées :
-60.000 euros en réparation du préjudice commercial subi du fait des actes de concurrence déloyale,
-5.000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait des actes de concurrence déloyale,
-20.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de parasitisme ;