En matière de développement de produits, plusieurs entreprises peuvent être en concurrence. Un prototype réalisé selon un cahier des charges pour la réalisation d’une invention brevetée peut-il permettre une action en contrefaçon fondée sur le droit d’auteur à l’encontre du titulaire du brevet ?Illustration avec l’arrêt de Douai du 17 septembre 2015.
Brièvement une présentation de quelques parties et de leurs relations contactuelles
M…… a un brevet sur un dispositif d’injection d’un additif liquide dans un carburant contenu dans le circuit d’alimentation d’un moteur à combustion interne d’un véhicule. Ce dispositif est caractérisé en ce qu’il comprend un bac support fixé, comportant une aiguille de raccordement rapide reliée à une ligne d’amenée d’additif par un tuyau flexible, et en ce que le réservoir d’additif liquide est formé d’une poche souple amovible et fermée de manière étanche par une membrane qui est percée par l’aiguille quand la poche est installée dans le dit bac.
P…… a pour objet l’étude, la fabrication, le négoce et la représentation d’articles servant au stockage, à la manutention et au transport de toutes matières. Elle fabrique notamment des poches souples pour le domaine automobile,.
A la demande de M….., qui recherchait un fabricant, P… lui fournit les poches souples. (D’autres parties interviennent également dans l’instance).
Mais M….. finalement confie la fabrication des poches à L…….
La lecture de l’arrêt apprend que L…… prétend en outre que les poches qu’elle fabrique ne sont pas les mêmes que celles fabriquées par P……., pour ne pas être de la même dimension.
La procédure
P……. invoque des droits d’auteur sur les poches et fait procéder à des opérations de saisie- contrefaçon autorisées le 6 juillet 2010 par le Président du tribunal de grande instance d’Aix en Provence, et le 12juillet 2010 par le Président du tribunal de grande instance de Lyon.
28 juillet 2010 : opérations de saisie –contrefaçon.
2, 3, 6 septembre 2010 : assignation devant le Tribunal de grande Instance de Lille.
1er août 2013 : le tribunal de grande instance de Lille rejette la demande en nullité de l’assignation et la demande en contrefaçon de droits d’auteur
17 septembre 2015 : arrêt de la Cour de Douai
- La Cour de Douai confirme le jugement qui a refusé d’annuler les opérations de saisie-contrefaçon
M…… soutient que:
l-la saisie contrefaçon du 6 juillet 2010 est nulle en raison de l’incompétence du tribunal de grande instance d’Aix en Provence en la matière,
2 – concernant la saisie contrefaçon autorisée le 12juillet 2010, P…… n’ayant pas saisi la juridiction compétente dans le délai prévu à l’article L 332-3 du code de la propriété intellectuelle, la mainlevée de la saisie pratiquée le 28 juillet devrait être ordonnée.
M…… prétend en outre que P….. n’avait pas qualité pour agir en saisie contrefaçon en l’absence d’aucun droit ni titre.
1) L’article D211-6-1, créé par Décret n02009-1205 du 9 octobre 2009 – art. 3, prévoit que:
‘Le siège et le ressort des tribunaux de grande instance ayant compétence exclusive pour connaître des actions en matière de propriété littéraire et artistique, de dessins et modèles, de marques et d’indications géographiques, dans les cas et conditions prévus par le code de la propriété intellectuelle, sont flxés conformément au tableau VI annexé au présent code. ‘
Le tableau VI confère à Marseille compétence pour le ressort des cours d’appel d’Aix-en-Provence, Bastia, Montpellier et Nîmes.
L’article D 211-6-1 concerne les actions engagées au fond.
S’agissant d’une saisie contrefaçon, qui constitue une mesure provisoire et conservatoire, cet article est inopérant.
Il convient de se référer aux textes spécifiques du code de la propriété intellectuelle.
Si les articles R 722-2, R 615-2 et R 521-2 du code de la propriété intellectuelle prévoient la compétence en matière de saisie pour les marques, les brevets d’invention, les dessins et modèles, il n’existe pas de texte spécifique applicable aux droits d’auteur.
En l’absence de dispositions réglementaires spécifiques, ce que reconnaît …… dans ses conclusions, il n’y a pas lieu, contrairement à ce que soutient cette société, d’étendre les dispositions de l’article D 211-6-1 précité, la compétence du juge habilité à délivrer sur requête une ordonnance autorisant une saisie contrefaçon en matière de droit d’auteur obéissant au droit commun, à savoir
celle du Président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel la mesure sollicitée doit être effectuée.
2) L’article L332-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version antérieure à la loi du Il mars 2014, version applicable en l’espèce, dispose que:
‘Faute pour le saisissant de saisir la juridiction compétente dans un délai fixé par voie réglementaire mainlevée de cette saisie pourra être ordonnée à la demande du saisi ou du tiers saisi par le président du tribunal, statuant en référé. ‘
L’article R 332-3 du même code fixe à 21 jours ouvrables, ou 31 jours civils, le délai de saisine du saisissant.
Il n’est pas contesté que P….. n’ a pas assigné au fond dans ce délai. Toutefois, il résulte du texte précité qu’il appartenait au saisi ou au tiers saisi de former leur demande devant le Président du tribunal statuant en référé, ce qui n’a pas été le cas.
La demande de M…… ne relève pas de la compétence du tribunal de grande instance.
En outre, P….. étant recevable à agir du seul fait de la création des poches litigieuses, elle avait qualité pour agir en saisie contrefaçon.
- La Cour confirme également le jugement qui a rejeté la demande en contrefaçon
.P……. fonde sa demande sur l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle.
L’article L 111- 1 dispose que l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.
La protection conférée par le droit d’auteur ne peut s’appliquer ni à une technique, ni à une méthode, ni à un procédé, ni à un système, mais seulement à une création de l’esprit au sens de la loi sur la propriété littéraire et artistique, à condition qu’elle soit indépendante de l’obtention d’un résultat industriel.
Un objet n’est protégeable par le droit d’auteur que s’il présente des caractéristiques ornementales et esthétiques séparables de son caractère fonctionnel.
L’exigence d’originalité qui en découle, qui recouvre la notion de ‘création intellectuelle propre à son auteur’ lorsque celui-ci a pu ‘ exprimer son esprit créateur de manière originale’ ( jurisprudence unifiée de la CJUE), impose que soit visible et caractérisé le reflet de la personnalité du créateur.
S’agissant d’oeuvres à caractère utilitaire, l’originalité s’entend de l’existence d’un apport intellectuel propre à son auteur, qui peut en effet résulter de la combinaison des éléments caractéristiques, mais à la condition que la création porte la trace d’un effort personnel de création et de recherche esthétique dans cette combinaison.
L’originalité n’est pas la nouveauté, et la notion d’antériorité, vantée par P….. , est inopérante dans le cadre de l’application du droit de propriété littéraire et artistique.
En l’espèce, l’application du texte précité concerne des poches souples étanches.
P….. soutient que son oeuvre est originale en raison de la combinaison créative des éléments suivants :
– le matériau utilisé,
– la connectique,
– la forme ou géométrie,
– l’étiquetage ou la traçabilité.
Il est établi que M….. a contacté P….. ( comme au demeurant L…..) avec un cahier des charges précis, appuyé sur le brevet déposé par M….., aux fins d’obtenir un résultat industriel déterminé.
C’est en application de ce cahier des charges que P…… a choisi le matériau …., matériau connu et utilisé, déjà homologué dans le milieu automobile.
Concernant la connectique, P…… s’est contentée d’utiliser un système de canule qui existait déjà. Elle ne prétend d’ailleurs pas qu’elle aurait crée un système original.
La forme et la géométrie des poches résultent du cahier des charges et des plans fournis par M….. .
Les tests ont été ont été réalisés sur ces bases.
La forme est ici entièrement dictée par la fonction.
Enfin, P….. ne peut, sous prétexte qu’elle a étiqueté les poches litigieuses ( il ne s’agit que d’un code barre), venir revendiquer la moindre originalité ou créativité.
P…… n’ a fait qu’exécuter la mission pour laquelle elle était rémunérée.
Le rapport de …… qu’elle produit, qui ne fait qu’énumérer les contraintes techniques liées à la réalisation de l’objet ( encombrement, étanchéité, résistance mécanique, vibrations, durée de vie etc…), n’est pas de nature à établir l’existence d’une empreinte créative de l’auteur, qui serait le reflet de sa personnalité.
….. précise d’ailleurs que les contraintes techniques, élevées, résultaient du cahier des charges fourni par M…… .
Il s’en suit que les poches litigieuses fabriquée par P…… ne peuvent être considérées comme des oeuvres originales, leur réalisation, qui résulte de choix dictés par la fonction à remplir, n’impliquant aucun effort créatif traduisant la personnalité de l’auteur, séparable du caractère fonctionnel.
Une action en contrefaçon ne peut prospérer que si le demandeur démontre qu’il est titulaire d’un droit de propriété intellectuelle.
Tel n’est pas le cas en l’espèce.
C’est à juste titre que le tribunal a débouté P…..