Une question préjudicielle posée à la Cour de Justice par la Cour de Paris à l’occasion d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale rendue sur une clause contractuelle de licence de brevet soumise au droit allemand.

Après ce titre déjà long,  il n’est pas utile d’introduire la problématique de cet arrêt du 23 septembre 2014 de la Cour de Paris.

La chronologie

6 août 1992 : une filiale de Hoechst accorde « une licence non exclusive et mondiale à Genentech pour l’utilisation de l’activateur des systèmes d’expression eucaryotique HCMV lequel était destiné à permettre d’accroître l’efficacité du processus cellulaire utilisé pour la fabrication de protéines ». Différents brevets sont en cause, deux brevets américains et un brevet européen.

Des précisions sont apportées par l’arrêt du 23 septembre 2014.

–          Ce brevet européen a été révoqué par l’OEB le 12 janvier 1999.

–          Trois redevances sont prévues :

  • l’une initiale de 20 000 DM,
  • la seconde annuelle  de 20 000 euros mais à « des fins de recherche »,
  • et la troisième  pour l’exploitation commerciale des produits sous licence.

La définition des produits sous licence renvoie aux revendications des brevets : « ‘les matériels (y compris les organismes) dont la fabrication, l’utilisation ou la vente contreferait, en l’absence du présent accord, une ou plusieurs revendications non expirées comprises dans les droits attachés aux brevets sous licence’ et les produits finis s’entendant ‘des marchandises commercialement négociables incorporant un produit sous licence, vendues sous une forme permettant d’être administrée aux patients pour un usage thérapeutique ou utilisée dans le cadre d’une procédure de diagnostic et qui ne visent pas ni ne sont commercialisées en vue d’une nouvelle formulation, d’un traitement, d’un remballage ou ré-étiquetage avant leur utilisation’.

Cette 3ème redevance n’est pas payée par Genentech.

30 juin 2008 : la filiale de Hoechst intervient auprès de Genentech et prétend que l’exploitation commerciale a lieu.

27 août 2008 : Genentech résillie la licence au 27 octobre 2008.

24 octobre 2008 : la filiale de Hoechst met en œuvre la clause compromissoire et saisit la Cour internationale d’arbitrage de la CCI.

27 octobre 2008 : la filiale de Hoechst engage une action en contrefaçon de brevets devant  le tribunal texan contre Genentech et une autre société pour la commercialisation du Rituxan. Ces deux sociétés demandent la nullité des brevets.

Genentech demande la suspension de l’arbitrage en invoquant ces procédures américaines.

26 mars 2010 : l’arbitre rejette la demande  de Genentech.

11 mars 2011 : le tribunal texan écarte le grief de contrefaçon.

9 juin 2011 : l’arbitre ordonne à Genentech de communiquer les états financiers relatifs à l’exploitation du Rituxan.

5 septembre 2011 ( ou 5 juin 2012 ?) : l’arbitre retient la responsabilité de Genentech « quant au Rituxan et aux autres produits » et la condamne  à payer à Hoechst différents montants, car il a « considéré l’objet commercial du contrat interprété selon l’article 242 du code civil allemand lequel était d’éviter tout procès sur la validité des brevets américains pendant la durée de validité du contrat de licence et estimé en conséquence que les parties avaient prévu que ‘pendant que le contrat de licence était en vigueur, des redevances courantes soient dues sur la base de la fabrication du Rituxan même si, dans le pays de fabrication, le brevet de fabrication pour le Rituxan s’avérait nul par la suite, et donc si la fabrication de Rituxan s’avérait ne pas avoir contrefait le brevet local au sens du droit des brevets du pays de délivrance et de fabrication »’.

22 mars 2012 : la Cour fédérale américaine confirme l’absence de contrefaçon.

L’engagement de la procédure devant le Cour de Paris

10 décembre 2012 : Genentech saisit la Cour de Paris d’un recours contre la troisième sentence arbitrale.

Ultérieurement, Genentech contestera aussi la sentence finale de l’arbitre et son addendum de 2013.

Des motifs de la Cour de Paris peuvent être cités :

« Considérant qu’il est soutenu par la recourante qu’en l’obligeant au paiement de redevances sans constater aucune contrefaçon alors qu’aux termes mêmes du contrat le licence, celles-ci n’étaient dues que pour des produits dont la fabrication, l’utilisation ou la vente contreferaient, en l’absence de cet accord, une plusieurs revendications non expirées comprises dans les droits attachés aux brevets sous licence, la sentence qui lui impose des dépenses injustifiées, en contravention du droit de la concurrence, heurte l’ordre public international

….

Considérant que les parties ont stipulé que l’accord de licence serait interprété et exécuté conformément au droit de la République Fédérale d’Allemagne dont il n’est pas contesté qu’il autorise le concédant à réclamer au licencié jusqu’à la résiliation du contrat, des redevances nononbstant l’annulation ultérieure des brevets auxquels étaient attachés les droits concédés ;

que la sentence arbitrale ayant fait application du contrat et considéré que durant la période de validité de celui-ci, le licencié était tenu du paiement des redevances stipulées conventionnemment alors même que l’annulation des brevets a un effet rétroactif, se trouve ainsi posée la question de savoir si un tel contrat contrevient aux dispositions de l’article 81 du Traité devenu l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne comme faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur en ce que soumettant le licencié à paiement de redevances dépourvues de cause par l’effet de l’annulation des brevets attachés aux droits concédés, il inflige à celui-ci un désavantage dans la concurrence ;

Les termes de la question préjudicielle posée par la Cour de Paris à la Cour de Justice de l’Union Européenne

‘Les dispositions de l’article 81 du Traité devenu l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doivent-elles interprétées comme faisant obstacle à ce qu’il soit donné effet, en cas d’annulation des brevets, à un contrat de licence qui met à la charge du licencié des redevances pour la seule utilisation des droits attachés aux brevets sous licence’ ;

Notre interrogation. A quelle situation s’applique cette question :

– A la disposition contractuelle reprise du droit allemand selon l’arrêt ?

– Ou à l’interprétation donnée par l’arbitre à cette disposition contractuelle ?

Note : Le lecteur pourra aussi se reporter à l’article 242 du Code allemand (Bürgerliches Gesetzbuch)

§ 242
Leistung nach Treu und Glauben

Der Schuldner ist verpflichtet, die Leistung so zu bewirken, wie Treu und Glauben mit Rücksicht auf die Verkehrssitte es erfordern.

2 thoughts on “Une question préjudicielle posée à la Cour de Justice par la Cour de Paris à l’occasion d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale rendue sur une clause contractuelle de licence de brevet soumise au droit allemand.

  1. Merci pour ce post. Je tente une réponse à votre interrogation.
    La question semble se limiter au droit allemand…

    Il me semble que l’interprétation de l’arbitre confond validité du brevet et portée des revendications. Apparemment les produits ne sont pas dans la portée des revendications. La validité des brevets n’a pas d’importance et la contester est un moyen de défense indépendant de la matérialité de la contrefaçon. Il n’y a aucune raison de poser une question préjudicielle sur ce point.

    Je suppose que vous avez des arguments pour l’alternative (sinon vous ne poseriez pas la question!). Si vous avez le temps de les développer je serais intéressé.

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