Les chroniques sur la contrefaçon de brevet s’intéressent le plus souvent aux aspects techniques de la contrefaçon. Or, pour les parties, la question indemnitaire est essentielle. L’arrêt du 18 janvier 2013 illustre les problématiques rencontrées pour la détermination du préjudice de la contrefaçon de brevet.
Un litige oppose MILLET INNOVATION et LES LABORATOIRES ASEPTA, MILLET INNOVATION reprochant des actes de contrefaçon de son brevet, de sa marque et des actes de concurrence déloyale.
Seul le débat sur le brevet nous intéresse. Il s’agit du brevet français FR 2 793 406 portant sur un manchon de protection de l’hallux valgus et sur le procédé de fabrication de ce manchon ;
19 octobre 2007 : saisie-contrefaçon sur ordonnance du 17 octobre 2007, lors des Entretiens de Podologie qui se tenaient à la Cité de la Villette à Paris
31 octobre 2007 : MILLET INNOVATION assigne LES LABORATOIRES ASEPTA devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon des revendications 1, 2 et 13 du brevet FR 0 793 406.
14 octobre 2010 : Le Tribunal retient les actes de contrefaçon de brevet et condamne LES LABORATOIRES ASEPTA à 70 000 euros pour contrefaçon de brevet.
LES LABORATOIRES ASEPTA font appel du jugement, la Cour confirme le jugement.
Devant la Cour, la société LES LABORATOIRES ASEPTA ne conteste plus ni la validité du brevet ni la contrefaçon, les débats portent sur le montant de 70 000 euros alloué par le Tribunal.
- La position de la société LES LABORATOIRES ASEPTA
Elle sollicite toutefois l’infirmation du jugement déféré en ce qu’il l’a condamnée à verser à la société MILLET INNOVATION la somme de 70.000 euros en réparation du préjudice de cette dernière ;
Elle estime que les premiers juges ont incorrectement apprécié le préjudice de la société MILLET INNOVATIONS à la suite des actes de contrefaçon qui lui sont imputés puisque ce préjudice ne peut en aucun cas être évalué en prenant pour base la marge bénéficiaire que la société MILLET INNOVATION aurait réalisée sur la vente d’un nombre de produits égal à la totalité des produits contrefaisants qu’elle a commercialisés ;
Elle fait observer qu’elle-même et la société MILLET INNOVATION n’ont pas la même politique de distribution pour la vente de leurs produits, que le taux de pénétration en pharmacie n’est pas le même pour chacune des sociétés, elle-même ayant un taux de 70% tandis que la société MILLET INNOVATION un taux de 35% et que la société MILLET INNOVATION dont la part de marché serait de 46% en pharmacie et elle-même ne sont pas les seuls fournisseurs de protection hallux valgus sur le marché français ;
Elle estime que le préjudice commercial de la société MILLET INNOVATION doit être évalué en prenant pour base le chiffre d’affaires qu’elle aurait réalisé sur la vente d’un nombre de produits qui peut être évalué à 7.933 unités multiplié par 50% et par 46% ; que compte tenu des remises consenties de l’ordre de 20%, le chiffre d’affaires manqué par la société MILLET INNOVATION ne saurait excéder le chiffre d’affaires de (83.137,84 : 7.933) x 1.825 x 80% = 15.300,80 euros et la marge bénéficiaire manquée la somme de 15.300,80 euros x 82,27% = 12.587, 97 euros ;
Elle évalue le taux de redevance indemnitaire due à la société MILLET INNOVATION à 10% du chiffre d’affaires qu’elle a réalisé soit (68.074,64 : 7.933) x 6.108 x 10% = 5.241,40 euros ;
- La position de MILLET INNOVATION
La société MILLET INNOVATION fait remarquer que la société LES LABORATOIRES ASEPTA concède avoir commercialisé, au cours de l’exercice 2007, 7.933 protections contrefaisantes ;
Elle contredit la société LES LABORATOIRES ASEPTA qui prétend qu’elle n’aurait pas été capable de fabriquer et de commercialiser les produits litigieux, que l’essentiel de son chiffre d’affaires ne serait pas réalisé en pharmacie et qu’elle n’aurait pu vendre que 1.825 articles (7.933 x 50% x 46%) ;
Elle soutient encore que les produits contrefaits par la société LES LABORATOIRES ASEPTA ont nécessairement entraîné pour elle la perte de clients, que le taux de pénétration de 35% proposé est inexact comme ne correspondant pas à sa force de vente qui fait que ses 38 vendeurs sont en mesure de visiter 60% des points de vente soit 13.300 pharmacies, compte non tenu des grossistes répartiteurs qui sont en mesure de répondre à la totalité des demandes clients de la totalité des pharmacies sur l’ensemble du territoire national ;
Elle estime que 15.900 pharmacies soit près de 72% des pharmacies étaient revendeurs d’Hallux valgus qu’elle fabriquait et qu’ayant vendu 88.225 protections Hallux valgus en 2007, elle était en mesure de fournir toutes les pharmacies en France ;
Elle ajoute que son produit breveté EPITACT® était vendu 20,78 euros TTC alors que celui contrefaisant de la société LES LABORATOIRES ASEPTA l’était de façon volontairement inférieur à 16,56 TTC pour profiter de ses investissements de communication ;
Elle évalue son chiffre d’affaires manqué à la somme de 83.137,84 euros et son préjudice économique à une somme qui ne peut être inférieure de 68.397 euros et fait observer qu’elle a également subi un préjudice moral du fait de l’appropriation illicite de son invention, ce qui lui permet de conclure que la somme de 70.000 euros allouée par les premiers juges n’apparaît pas excessive et ne couvre au contraire que très justement l’entier préjudice qu’elle a subi ;
- Le rappel des dispositions légales
L’article L.615-7 du code de la propriété intellectuelle dispose que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l’atteinte ;
Il convient en conséquence dans un premier temps de rechercher le manque à gagner de la société MILLET INNOVATION du fait des actes de contrefaçon des revendications 1, 2 et 13 du brevet FR 2 793 406 qu’a commis la société LES LABORATOIRES ASEPTA puis, dans un second temps, les bénéfices réalisés par cette dernière à l’occasion de la commercialisation des produits contrefaisants afin d’évaluer son préjudice globale incluant le préjudice moral subi ;
- L’analyse de la Cour
Le manque à gagner de la société MILLET INNOVATION doit correspondre à ce qu’elle aurait été capable de fabriquer, de commercialiser et de vendre à des pharmaciens, à des grossistes répartiteurs ou par correspondance si la société LES LABORATOIRES ASEPTA n’avait pas commercialisé et vendu des produits contrefaisants par l’entremise des mêmes canaux ;
La société LES LABORATOIRES ASEPTA admet avoir commercialisé 7.933 unités en 2007 mais estime que la société MILLET INNOVATION n’aurait pu atteindre cet objectif du fait qu’elle ne présente qu’un taux de pénétration en pharmacie de 35% au lieu de 70% pour elle-même comme l’atteste son commissaire aux comptes le 15 mars 2011 qui indique que la société LES LABORATOIRES ASEPTA a vendu ses produits à environ 15.500 pharmacies en France, ce qui représente environ 69% des pharmacies en France (Pièce n° 76 du dossier Asepta ) ;
La société MILLET INNOVATION réplique et indique à titre informatif sur ses pages internet (Pièce n° 89 du dossier Asepta) qu’elle possède une force de vente de 35 commerciaux, que 5.300 pharmacies sont actives en 2005 (23% de pénétration), que 64% des commandes 2005 sont des ‘réassorts’ et qu’elle procède également à des ventes par correspondance ;
Elle justifie également par la production d’une attestation de son commissaire aux comptes datée du 8 novembre 2012 qu’elle employait en 2008, 27 VRP multicartes, 15 agents commerciaux sous contrat et un salarié (Pièce n° 53 du dossier Millet) ;
La société LES LABORATOIRES ASEPTA ne démontre par conséquent pas que la société MILLET INNOVATION n’était pas en mesure en 2007 d’atteindre les mêmes objectifs qu’elle ;
Pour conforter sa thèse, la société MILLET INNOVATION verse encore aux débats une série de documents chiffrés (Pièces n°30-1, 33-1 à 33-6, 35 et 53 du dossier Millet) qui, n’étant pas certifiés, ne possèdent aucune valeur probante ; qu’il en est de même des tableaux de chiffres non certifiés annexés à l’attestation du commissaire aux comptes (Pièces n° 33-4bis du dossier Millet) qui ne permettent pas de déterminer de façon exacte le manque à gagner de la société MILLET INNOVATION ;
La société MILLET INNOVATION ne saurait davantage trouver dans les importantes dépenses de communication qu’elle a réalisées le chiffrage exact du manque à gagner que la société LES LABORATOIRES ASEPTA lui aurait fait subir du fait de la vente des produits contrefaisants ;
La société LES LABORATOIRES ASEPTA verse aux débats l’Etat financier annuel Exercice clos au 31 décembre 2008 de la société MILLET INNOVATION (Pièce n° 91 du dossier Asepta) qui révèle la part du chiffre d’affaires par réseau suivant : (Tableau non reproduit ici)
Cet état précise que 26 VRP, 10 ouvriers et 13 employés collaboraient à l’entreprise au cours de l’année 2008 ;
Ces données, parce que trop générales, ne permettent cependant pas davantage de chiffrer le manque à gagner de la société MILLET INNOVATION ;
Pour déterminer le préjudice subi par la société MILLET INNOVATION, il convient encore de chiffrer les bénéfices réalisés par la société LES LABORATOIRES ASEPTA à l’occasion de la commercialisation des produits contrefaisants ;
Sur la base de la commercialisation de 7.933 unités vendus en 2007 au prix unitaire de 16,56 euros TTC soit 13,34 HT, il apparaît que la société LES LABORATOIRES ASPETA aurait perçu la somme de 105.826,22 euros HT de laquelle il conviendra de retrancher, notamment les coûts de fabrication et de distribution lesquels n’ont pas été communiqués ;
La société LES LABORATOIRES ASEPTA souhaite voir appliquer à la Société MILLET INNOVATION un taux moyen des redevances contractuelles qui se situe selon elle entre 4,80% et 6,40% ;
Mais ce taux consenti par le titulaire d’un brevet à son licencié ne saurait servir de base de calcul pour indemniser la victime d’actes de contrefaçon, le contrefacteur qui a agi au mépris de droits également protégés ne pouvant bénéficier des mêmes avantages, le contraire reviendrait à favoriser la contrefaçon et à désavantager les honnêtes licenciés ;
Compte tenu de ce qui précède et de ce qu’elle a également subi un préjudice moral que les dispositions de l’article L.615-7 précité prévoient d’indemniser, il apparaît que la somme de 70.000 euros fixée par les premiers juges indemnisera la société MILLET INNOVATION pour les actes de contrefaçon de brevet commis à son préjudice ;
Le tribunal est clair sur les principes et moins sur la méthode de calcul appliquant ces principes.
Si j’ai bien compris, le contrefacteur a fait un chiffre d’affaire de 105 k€, et le tribunal après avoir indiqué qu’il ne connaissait pas le prix de revient alloue 70 k€ au breveté, soit un taux estimé de marge 70% par le tribunal. Je suppose que le tribunal a pris le bénéfice du contrefacteur comme base.
On est très loin de la demande d’une licence à 6% du contrefacteur!
Le contrefacteur aurait peut-être mieux fait de donner des informations certifiées sur son prix de revient (à moins qu’il ne fasse plus de 70% de marge brute) plutôt que d’essayer une licence forfaitaire qu’il n’avait aucune chance d’obtenir puisque le breveté exploitait son invention.
Indemnisation sur la base d’un taux de licence, de la marge du titulaire ou encore du bénéfice du contrefacteur, le débat est régulièrement relancé à chaque procès !