Les titulaires de droits de propriété industrielle disposent de différentes procédures pour faire cesser les agissements qu’ils considèrent comme constitutifs d’atteinte à leurs droits avant même qu’une décision ait statué sur le fond.
En matière de brevet puisque l’ interdiction provisoire porte sur le produit lui-même, les conséquences peuvent être particulièrement lourdes. Tout d’abord pour le présumé contrefacteur. Ultérieurement également pour le titulaire du droit quand celui-ci est annulé.
Le litige entre les laboratoires Negma et la société Biogaran illustre parfaitement cette situation. Après un référé interdiction provisoire accordé par le juge de Strasbourg, un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris annule la revendication du brevet. La Cour de Paris confirme le jugement. Et la Cour de Colmar infirme les mesures provisoires d’interdiction et de rappel des médicaments.
La société Biogaran demande aux laboratoires Negma l’indemnisation de son préjudice consécutif au retrait des médicaments et à l’interdiction de les commercialiser.
Le 27 janvier 2012, le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris a fixé cette indemnisation à 2 997 567 Euros.
Les Laboratoires Negma ont fait appel de ce jugement.
L’arrêt du 6 juillet 2012 ne se prononce pas sur cet appel, il intervient sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) des laboratoires Negma que le Juge de la Mise en Etat du Tribunal de Grande Instance de Paris a refusé de transmettre à la Cour de cassation.
Voyons cette question
Les dispositions de l’article 31 alinéa 2 de la loi du 9 juillet 1991 qui créent un régime de responsabilité sans faute au profit du débiteur de l’exécution forcée d’un titre exécutoire à titre provisoire, portent-elle atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit dans le cas où le brevet d’invention sur la base duquel une interdiction provisoire a été prononcée par le juge des référés en application des dispositions de l’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle serait ultérieurement annulé au fond (ou dans le cas où l’action en contrefaçon serait rejetée au fond) :
1°- plus particulièrement à l’égalité de traitement entre les justiciables, dès lors que le titulaire du brevet qui entend agir en contrefaçon est soumis à davantage de contraintes (notamment la démonstration d’une faute et un risque non contrôlable de condamnation en cas d’échec non fautif de son action au fond en contrefaçon) que le défendeur à l’action, lequel bénéficie d’une responsabilité sans faute au détriment du titulaire du brevet, déséquilibre aboutissant à mieux traiter que le titulaire légitime du droit de propriété intellectuelle celui qui s’est délibérément affranchi des obligations découlant d’un brevet qui avait une existence légale au moment où a eu lieu l’exploitation contrefaisante ‘
2° – plus particulièrement encore au droit d’accès au juge, dès lors que les dispositions litigieuses font peser sur l’exercice légitime et sans faute par le propriétaire de son droit de propriété intellectuelle une véritable sanction démesurément lourde, totalement imprévisible et dissuasive ‘
3° – et plus particulièrement enfin au droit de propriété intellectuelle, dès lors que les dispositions litigieuses dissuadent le titulaire du droit de propriété intellectuelle de se prévaloir d’une des prérogatives essentielles de son droit (le droit d’interdire et son corollaire le droit d’agir en contrefaçon » ;
L’arrêt du 6 juillet examine cette demande de QPC sur quatre pages pour dire qu’elle est dépourvue de sérieux.
Sur les trois moyens invoqués.
- A propos de l’égalité de traitement entre les justiciables
Il résulte de ce texte que si une garantie peut être accordée au défendeur afin qu’il soit assuré d’être indemnisé pour le cas où l’action engagée contre lui par le demandeur se solderait par un échec, il serait illogique et surtout inique de n’envisager une telle indemnisation qu’au profit du défendeur qui a obtenu une telle garantie et d’ignorer la demande d’indemnisation du défendeur qui n’aurait pas sollicité ou n’aurait pas obtenu cette garantie au moment où les mesures provisoires étaient ordonnées à son encontre ;
L’égalité de traitement entre les justiciables invoquée par la sociétés LABORATOIRES NEGMA serait dans ce cas manifestement atteinte ;
Il existe, par conséquent et contrairement à ce que soutient la société LABORATOIRES NEGMA, une cohérence législative entre les dispositions de l’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle et l’article 31 de la loi du 9 juillet 1991 laquelle ne porte pas atteinte à l’égalité de traitement entre les justiciables mais au contraire rétablit l’équilibre des droits et assure le respect du principe d’égalité constitutionnellement protégé
- Sur le droit d’accès au juge
Le fait que le défendeur n’ait pas à démontrer la faute commise par la personne qui ayant qualité pour agir en contrefaçon a formé une demande sur le fondement des dispositions de l’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle ne doit s’apprécier qu’à l’aune de la prérogative exceptionnelle que la loi accorde au demandeur de solliciter du juge que soient ordonnées des mesures provisoires susceptibles d’avoir de lourdes conséquences si elles n’étaient pas juridiquement fondées ; …
Contrairement à ce qui est soutenu, le titulaire du brevet n’est donc pas privé de son droit d’accès au juge pour faire respecter les droits attachés à son titre puisqu’il peut toujours agir au fond en contrefaçon et obtenir la réparation du préjudice qu’il prétend avoir subi de la part du présumé contrefacteur sans nécessairement avoir auparavant recours aux dispositions de l’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle
- Sur l’atteinte aux garanties que la Constitution accorde au droit de propriété intellectuelle
« …la société BIOGARAN souligne à juste titre que le droit de propriété n’est pas absolu et que la protection constitutionnelle du droit de propriété ne s’exerce qu’en présence d’une atteinte ou une restriction qui présente un caractère de gravité tel qu’elle dénature le sens et la portée de ce droit de propriété ;
Or en l’espèce, la société LABORATOIRES NEGMA qui a poursuivi à ses risques et périls l’exécution des mesures provisoires ordonnées sur le fondement de son droit de propriété intellectuelle ne démontre pas la privation ou la dénaturation de son droit de propriété permettant de mettre en jeu la protection constitutionnelle du droit de propriété ;