Si l’arrêt de la Cour de Paris du 11 septembre 2013 examine la possibilité pour un tiers d’intervenir lors d’un recours en limitation, il se place après l’arrêt de cassation du 19 mars 2013 qui certes concernait d’autres parties, mais qui avait (peut-être) élargi le champ de la limitation d’un brevet.
Brièvement la chronologie :
31 janvier 1992 : dépôt de la demande de brevet.
20 mai 1998 : délivrance du brevet français sur la base du brevet européen sous le titre « Benzimidazoles, médicaments les contenant et procédé pour leur préparation ».
Un CCP a été accordé et qui expire le 11 décembre 2013. Ce CCP protège le principe actif TELMISARTAN (antagoniste de l’angiotensine II utilisé pour combattre l’hypertension artérielle).
14 et 19 décembre 2011 : BOEHRINGER INGELHEIM PHARMA GmbH and Co KG qui est titulaire du brevet, demande à l’INPI la limitation de la partie française du brevet français.
26 avril 2012 : rejet de la demande par le Directeur général de l’INPI.
25 juillet 2012 : recours de BOEHRINGER INGELHEIM PHARMA GmbH and Co KG.
- Un tiers peut-il intervenir devant la Cour d’appel lors du recours du breveté contre la décision de l’ INPI qui lui a refusé la limitation de son titre ?
Précisions que le tiers dans cette affaire n’est pas le licencié.
Les tiers sont plusieurs sociétés ACTAVIS.
L’arrêt résume ainsi la raison de ces interventions :
………la société BOEHRINGER s’étant vue refuser (la procédure est actuellement pendante devant la Cour de cassation), sur la base du brevet tel que délivré, qui ne protège que le principe actif TELMISARTAN pris isolément, l’octroi d’un CCP pour le TELMISARTAN + l’HCT, tente dans le seul espoir d’obtenir ce CCP de modifier, sous couvert d’une prétendue limitation, la revendication d’origine 8 en prévoyant éventuellement la combinaison du TELMISARTAN à d’autres principes actifs, dont l’HCT;
Qu’elles font valoir que la requête en limitation du brevet s’insère donc dans un processus en deux étapes pour parvenir à l’obtention d’un CCP protégeant le TELMISARTAN +l’HCT, qu’un tel CCP pourrait compromettre la commercialisation de leur générique du MICARDISPLUS qu’elles s’apprêtent à entreprendre dès l’expiration le 11 décembre 2013 du CCP n° 99C0013 protégeant le seul principe actif TELMISARTAN, et qu’elles ont ainsi intérêt à soutenir la décision de rejet de la demande en limitation.
Pou dire irrecevables ces interventions, la Cour se réfère aux dispositions de l’article 330 du Code de procédure civile :
Considérant que selon les dispositions de l’article 330 du Code de procédure civile, L’intervention est accessoire lorsqu’elle appuie les prétentions d’une partie. Elle est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie;
Or considérant, à supposer constant que la limitation du brevet est recherchée à seule fin d’obtenir, sur la base du brevet limité, un CCP couvrant la spécialité pharmaceutique TELMISARTAN+HCT, que les sociétés ACTAVIS ne sauraient prétendre intervenir en la cause pour la conservation de leurs droits au sens des dispositions précitées alors qu’elles ne disposent au jour de cette intervention d’aucun droit à commercialiser un générique associant le TELMISARTAN et l’HCT, la société BOEHRINGER étant titulaire, sur la base du brevet, du CCP n° 99C0013 lui conférant jusqu’au 11 décembre 2013 un monopole d’exploitation sur le principe actif TELMISARTAN ;
Considérant que si les sociétés ACTAVIS ont certes vocation, à l’instar de l’ensemble des laboratoires de l’industrie pharmaceutique spécialisés dans la fabrication des produits génériques, à mettre sur le marché, dès l’expiration du CCP précité, un médicament générique contenant du TELMISARTAN et de l’HCT, force est de constater que rien ne montre qu’elles s’apprêtent à lancer un générique du MICARDISPLUS ainsi qu’elles le prétendent, le seul fait qu’une demande d’AMM ait été présentée ne présumant aucunement d’une entreprise effective de commercialisation du produit ;
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Le recours de BOEHRINGER INGELHEIM PHARMA GmbH and Co KG est néanmoins rejeté.
La Cour analyse « l’objet » protégé par la revendication, une référence sans doute à l’arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2013.
Considérant qu’il doit être à cet égard rappelé que la procédure en limitation de brevet a été introduite par la loi n° 2008 -776 de modernisation de l’économie en vue d’harmoniser la législation française avec les dispositions issues de l’entrée en vigueur de l’Acte portant révision de la Convention sur le brevet européen du 29 novembre 2000 (CBE 2000) et relevé que les travaux préparatoires à la révision de la Convention invitent l’OEB à examiner si la modification des revendications qui a été demandée entraîne effectivement une limitation du brevet, si elle ne vise pas à protéger un autre objet et s’il est satisfait aux conditions visées à l’article 84 CBE ;
Rappelons la position du Directeur de l’INPI :
….la requérante souhaitait certes, restreindre la revendication 1 en limitant les benzimidazoles revendiqués mais aussi, adjoindre à la revendication 7 modifiée (correspondant à la revendication 8 telle que délivrée), l’indication selon laquelle le médicament comprend en outre un second composé actif choisi parmi une liste conséquente de composés et a estimé, pour conclure [au ]rejet, que la requête aux fins d’inclure une telle association dans la revendication 7, ne saurait constituer une limitation des revendications du brevet dès lors qu’elle porte sur un produit différent qui ne relève pas du champ des revendications antérieures ;
La lecture de la revendication 8 initiale par la Cour de Paris :
Considérant que la revendication 8 initiale, lue à la lumière des énonciations qui précèdent, a pour objet un médicament contenant un composé actif de la famille des benzimidazoles selon l’une au moins des revendications 1 à 7 et, éventuellement, un ou plusieurs supports et/ou diluants inertes et confère, par voie de conséquence, une protection, non pas ainsi que le soutient la société BOEHRINGER à un médicament comportant un benzimidazole en combinaison avec toute autre substance active, mais à un médicament caractérisé uniquement en ce qu’il contient un benzimidazole, la présence éventuelle dans ce médicament d’autres substances actives étant indifférente à l’admission de la contrefaçon et en aucun cas susceptible d’être en elle-même contrefaisante ;
Pour prétendre à la modification de la revendication 8, la société BOEHRINGER INGELHEIM PHARMA GmbH and Co KG cite différents passages de la description, argumentation insuffisante pour la Cour .
considérant que s’il est constant que les dix-neuf substances actives, précédemment citées à titre d’exemples, sont connues de l’homme du métier pour être utilisées, à l’instar des benzimidazoles, dans le traitement de l’hypertension artérielle, il n’en demeure pas moins qu’elles présentent des structures chimiques et des propriétés différentes et que la suggestion, énoncée en des termes très généraux, de les associer à des benzimidazoles, ne renseigne aucunement sur la faisabilité des multiples bithérapies envisagées, sur les synergies escomptées et en définitive sur l’efficacité du médicament à répondre au problème technique posé ;
Considérant que le directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle a justement déduit de ces observations que la possibilité, guère développée, de combiner des benzimidazoles avec toute autre substance active est évoquée à titre spéculatif et ne saurait être regardée comme l’objet de l’invention ;
Qu’il doit être à cet égard souligné que les 59 exemples destinés selon la description à illustrer l’invention de manière plus précise ne portent que sur des composés de la famille des benzimidazoles (en particulier le TELMISARTAN) et qu’aucun de ces exemples ne traite d’une combinaison de ces composés avec une autre substance active ;
Considérant qu’il suit de ces éléments que la description ne permet pas d’interpréter la revendication 8 comme ayant pour objet un médicament comportant une association de benzimidazoles avec toute autre substance active ;
Le lecteur se rappellera que la Cour de cassation dans son arrêt du 19 mars 2013 cassait un précédent arrêt de la Cour de Paris pour ne pas avoir recherché si « l’objet de la revendication modifiée n’était pas divulguée directement et sans ambiguïté dans la description ».