Breveté condamné pour procédure abusive en demandant la liquidation de l’astreinte au regard d’une commercialisation sur internet

Quand le juge condamne pour contrefaçon de brevet, il prononce le plus souvent des mesures d’interdiction sous astreinte pour dissuader le contrefacteur de poursuivre ses actes.

Le breveté qui considère que les agissements illicites se poursuivent, peut être tenté d’engager une action en liquidation de l’astreinte.

L’arrêt du 15 novembre 2013 de la Cour de Paris présente deux intérêts. D’une part, il se prononce sur l’offre en vente du produit litigieux depuis un site internet espagnol. D’autre part, il condamne le breveté pour procédure abusive.

Sans entrer dans le détail de la procédure, indiquons simplement qu’un jugement du 14 janvier 2010  a condamné la société K …. pour contrefaçon d’un brevet français de la société W….. et a prononcé des mesures d’interdiction sous astreinte.

Le brevet porte sur un tire-bouchon.

Ce jugement est définitif.

Le 11 janvier 2011, la société W….. assigne la société K….. en liquidation d’astreinte.

9 février 2012, le Tribunal de grande instance de Paris rejette les demandes de W…

  • L’examen par la Cour de la preuve de l’offre depuis un site internet étranger

Qu’en l’espèce, il appartient à la société W….. demanderesse à l’action en liquidation d’astreintes, de prouver, à l’aune de ces critères d’appréciation, si la société K…. a, comme elle le prétend et comme le conteste l’intimée, dirigé ses activités commerciales relatives aux tire-bouchons litigieux à destination du consommateur français ;

Qu’il n’est pas contesté que la société K….. exerce une activité internationale à travers son site <www.k…..es>, que ce site est accessible sur le territoire français et qu’il résulte, certes, des constatations effectuées qu’elle mentionne sur son site un numéro de téléphone comportant un préfixe international (34 pour l’Espagne), qu’elle utilise la langue française et indique des prix libellés en euros ;

Que ces éléments ne paraissent cependant pas déterminants à eux seuls pour affirmer qu’elle dirige ses activités vers le territoire français ;

Qu’en effet, la mention d’un préfixe ajouté à un numéro de téléphone ne se combine, en l’espèce, qu’avec un nom de domaine de premier niveau (en <.es>) et non avec des noms de domaine neutres de premier niveau, tels <.eu> ou <.com> ; que le critère d’appréciation tenant à la monnaie n’est pas pertinent puisqu’il correspond à la monnaie de l’Espagne et qu’il est indifférent, dans la recherche de critères d’appréciation, que puisse être utilisé le moyen de paiement international par le système Paypal ;

Qu’en outre, le site se présente en langue espagnole et l’emploi de la langue française, à l’instar de la langue anglaise, n’est pas, non plus déterminant dans la mesure où, sauf à donner au brevet français revendiqué une portée internationale qu’il n’a pas, la société K….. peut, sans contrevenir aux interdictions du jugement, commercer comme elle le fait avec des pays francophones tels la Suisse, la Belgique ou le Canada ; qu’il apparaît, de plus, qu’elle commercialise de manière licite, en les présentant dans son catalogue, d’autres produits que des tire-bouchons, ceci à destination de la France; que l’intimée fait à cet égard justement observer que dans son catalogue annexé au procès-verbal du 02 juin 2010, les modèles de tire-bouchons litigieux sont présentés en langues espagnole et anglaise et non française ; que l’emploi d’une vidéo ne s’analyse que comme une technique de vente et n’ajoute rien à ces motifs ;

Que, s’agissant de la faculté offerte au consommateur français de se faire livrer des produits en France, la société appelante tire argument des constatations de l’huissier consignées dans son procès-verbal du 20 février 2012 en indiquant qu’il ‘a pu constater que tout internaute français pouvait librement commander et payer via le système Papal les différents tire-bouchons qui étaient destinés au marché français’ ;

Qu’à juste titre, cependant, la société K….. conteste la pertinence de cet élément de preuve visant à attester de faits de livraison en faisant observer que si l’huissier a pu constater l’existence d’une possibilité de commander, il n’a pas recherché si une telle faculté pouvait être suivie d’une vente effective des tire-bouchons litigieux ; que l’enjeu financier du présent litige et la motivation du tribunal commandaient en effet que l’administration de la preuve soit parfaite et l’opération menée à son terme, au moyen, notamment, de l’établissement d’un simple constat d’achat ;

….. il s’évince de l’ensemble de ces éléments que l’appelante échoue dans sa démonstration de contraventions aux interdictions prononcées par le tribunal de grande instance de Paris le 14 janvier 2010 …..;

  • La condamnation du breveté pour procédure abusive

Considérant, ceci exposé, qu’en dépit du dispositif du jugement rendu le 14 janvier 2010, il appartenait à la société W….. d’agir avec discernement en tenant compte de la portée de son brevet et de l’étendue de l’activité de la société K…., et de le faire avec loyauté dans le contexte amiable qu’est celui de pourparlers ;

Que force est, en outre, de relever qu’elle a laissé passer un délai de sept mois entre son premier procès-verbal de constat et l’assignation sans qu’elle ne fournisse d’explications sur l’écoulement de ce délai ; que, forte de la motivation des premiers juges dans le cadre de la présente instance, elle ne pouvait pas, sans légèreté blâmable, faire dresser un nouveau procès-verbal sans chercher à administrer la preuve de l’effectivité de la vente des tire-bouchons litigieux sur le territoire français ;

Que ce comportement n’a pu qu’être source de tracas et de trouble commercial pour la société K…. ; que, par-delà les frais de justice qu’elle a dû exposer et qui seront par ailleurs indemnisés, la société intimée a subi un préjudice qui sera indemnisé à hauteur de la somme de 5.000 euros ;