L’arrêt rendu par la Cour de Paris le 16 mai 2013 rappelle la distinction entre secret et savoir-faire.
- Les parties et un bref rappel de l’arrêt de cassation
La société Holding financière Seguy (la société HFS) bénéficiaire d’une licence sur la marque Pétrin Ribeirou, a accordé une sous-licence à la société Développement Agranate Seguy (la société DAS), devenue la société DS. Cette dernière a conclu avec M. Finck, agissant en qualité d’associé de la société Solyrod, un contrat de sous-licence d’exploitation portant, notamment, sur la transmission d’un savoir-faire concernant la fabrication artisanale de produits de boulangerie et sur le droit d’utilisation de la marque Pétrin Ribeirou,
Ultérieurement, la société Solyrod et M Finck contestent l’originalité du savoir-faire transmis et demandent la nullité du contrat.
L’arrêt de la Cour de Paris est rendu après cassation d’un précédent arrêt de Paris qui avait annulé le contrat pour défaut de cause. Par ce second arrêt, la Cour rejette cette demande en annulation du contrat.
- Le savoir-faire doit-il être secret ?
Les parties s’opposent sur la réalité du caractère secret du procédé de panification auquel le contrat de sous-licence donnait accès.
Les jurisprudences européenne et nationale, reprises par le règlement CE n°2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées définissent les « savoir-faire » comme un ensemble secret, substantiel et identifié d’informations pratiques non brevetées, résultant de l’expérience du fournisseur et testées par celui-ci. Dans ce contexte, l’adjectif « secret » signifie que le savoir-faire, dans son ensemble ou dans la configuration et l’assemblage précis de ses composants, n’est pas généralement connu ou facilement accessible. L’adjectif « substantiel » signifie que le savoir-faire doit inclure des informations indispensables pour l’acheteur aux fins de l’utilisation, de la vente ou de la revente des biens ou des services contractuels, et « identifié » signifie que le savoir-faire doit être décrit d’une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu’il remplit les conditions de secret et de substantialité.
L’adjectif secret ne signifie pas que le franchiseur doive proposer un savoir-faire ignoré jusqu’alors et impossible à connaître en dehors de l’accès à la franchise, mais que l’objet de la franchise permette au franchisé d’accéder à un domaine dont l’accès lui aurait réclamé des recherches ou des études personnelles longues et coûteuses tant en termes monétaire que de temps.
- Le procédé en cause n’était pas secret
Il résulte de plusieurs avis d’experts figurant au dossier que le procédé utilisé, n’est pas à proprement parler « secret », puisque le mode opératoire décrit dans les documents relatifs au procédé qui est un des objets du contrat de sous-licence, serait un procédé ancien et parfaitement connu des « dizaines de milliers de professionnels du métier ». Cependant, M. Vilgrain, expert, précise que le processus décrit « présente l’originalité de l’absence de façonnage de la pâte en forme de baguette ou autre » et ajoute que « Cette méthode est plus rarement employée car les produits une fois cuits sont de formes incertaines et ne plaisent qu’à un type de clientèle ». Le directeur de l’Institut national de la boulangerie indique, pour sa part, que « Chaque point pris isolément n’est pas une innovation. Le travail de compilation qui a consisté à les réunir dans un même concept peut toutefois présenter un intérêt au regard de la demande consommateur actuelle (…) ». Il ajoute que « Ces techniques relèvent (‘) du domaine public et la personne qui accepte de se former et de se documenter peut fort bien les mettre en oeuvre à titre individuel sans le soutien d’une enseigne ». Or, ainsi qu’il a été relevé précédemment, le contrat de sous-licence ne concerne pas seulement le procédé de fabrication du pain, mais offre aussi de permettre à des personnes, dont la formation professionnelle n’est pas celle d’un boulanger, d’avoir accès à cette activité professionnelle, mais aussi de pouvoir connaître une technique particulière dans la façon de commercialiser les produits de boulangerie. En conséquence, quand bien même le procédé de fabrication du « contrôle de la pousse », serait-il connu des boulangers et utilisé par certains, il n’en demeure pas moins que la sous-licence concédée par les sociétés HFS et DS, donnait à des néophytes, dans un délai réduit, accès à l’exercice d’une profession dont ils ne connaissaient rien et que, quand bien même auraient-ils pu avoir accès à ces données par des recherches et un investissement personnels, la franchise leur épargnait de procéder à la recherche et au recueil des différentes informations nécessaires par leurs propres moyens et leur permettait de maitriser rapidement, tant la technique de fabrication, qu’un mode particulier de commercialisation.
Il est donc établi que, quand bien même le procédé de fabrication du pain ne serait pas « secret » pour des professionnels boulangers, il s’inscrit, en l’espèce, dans un assemblage de composants originaux et spécifiques qui étaient jusqu’alors, généralement considérés comme ne plaisant pas à la grande majorité de la clientèle et n’étaient pas facilement accessibles pour des personnes souhaitant se lancer dans une activité pour laquelle elles n’étaient pas formées.
- Le savoir-faire : un avantage concurrentiel
En outre, contrairement à ce que soutiennent la société SMJ ès-qualités et M. Finck, la combinaison de l’ensemble des particularités et des services offerts dans le cadre de la franchise, concrétisent la transmission d’un savoir-faire. En effet, s’agissant de la compétence professionnelle, la licence ne prétend pas faire d’une personne non diplômée un boulanger, mais permettre de créer et gérer un fonds de commerce de boulangerie ainsi que de donner l’accès à un savoir faire permettant de commercialiser du pain et des produits de boulangerie à des coût réduits, ce qui implique un avantage sur le marché concurrentiel. Par ailleurs, il est sans effet que d’autres franchisés aient adopté des modes de commercialisation proches ou ressemblants, ou que d’autres vendent du pain au poids, dès lors que la franchise concerne la combinaison d’un ensemble de techniques de fabrication, de modes de présentation et de commercialisation qui donnent à la franchise son caractère propre et spécifique et donc secret. S’agissant enfin de l’assistance, technique, M. Finck ne conteste pas avoir bénéficié d’une formation et d’un stage organisés et payés par la société HFS, et les sociétés HFS et DS démontrent, documents à l’appui, avoir effectué de nombreuses interventions, notamment, les 22 janvier, 24 mars, 10 mai, 26 juillet, 22 septembre 2004 et les 18 janvier, 23 mars, 3 juin 14 décembre 2005, auprès de la société Solyrod aux termes desquelles des constats ont été faits quant à la fabrication du pains mais aussi quant aux modes de commercialisation et d’organisation du travail, et que ces constats ont été suivis de conseils sur tous les points relevés.
- Les autres informations du contrat
Par ailleurs, il n’est pas contesté que le contrat de sous-licence comportait les informations indispensables aux fins de l’exploitation d’une boulangerie, ce qui a d’ailleurs été effectué avec un certains succès par de nombreux franchisés, ainsi que par la société Solyrod qui a réalisé un chiffre d’affaires de 408 424 euros en 2002, de 376 440 euros en 2003 et de 436 928 euros en 2004.
Enfin, le contrat de sous-licence comportait une annexe A destinée à permettre aux licenciés de comprendre « d’une façon concise mais non exhaustive, le caractère original de la fabrication du pain, objet de la licence de savoir-faire ». Ce document explique que le savoir-faire repose sur la suppression de certaines phases traditionnellement connues dans la boulangerie et comporte un lexique général expliquant de façon détaillée les différentes phases de la fabrication du pain, la description d’une journée de travail, les principes de calcul pour la confection du levain, la liste du matériel nécessaire à l’implantation d’un « Pétrin Ribeirou ». Par ailleurs, les documents précontractuels produits aux débats expliquent le « concept », l’état d’esprit, les magasins, les conditions d’accès à la franchise, les données chiffrées essentielles. Ces documents décrivent l’ensemble du savoir-faire d’une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier qu’il remplit les conditions de secret et de substantialité.