1°) Le rappel : La Grande Chambre de recours de l’OEB dans sa décision G 2/06 du 25 novembre 2008 a rejeté le recours contre la décision de la division d’examen qui avait refusé une demande de brevet portant sur :
1. « Culture cellulaire comprenant des cellules souches embryonnaires de primate qui (i) sont capables de proliférer pendant plus d’un an en culture in vitro,(ii) conservent un caryotype présentant tous les chromosomes qui caractérisent normalement l’espèce de primate concernée et que la mise en culture pendant plus d’un an ne modifie pas de manière perceptible, (iii) conservent pendant toute la mise en culture leur potentiel de différenciation en dérivés des tissus de l’endoderme, du mésoderme et de l’ectoderme et (iv) dont la différenciation est inhibée en cas de culture sur une couche nourricière de fibroblastes. »
Pour la Grande Chambre, il y avait destruction d’embryons . Au point III, la décision relevait :
La description cite une seule source de cellules de base, à savoir un embryon préimplantatoire
D’où la position de la Grande Chambre qui a considéré que cette invention ne pouvait pas être brevetée :
En effet, la Grande Chambre estime que la règle 28c) (anciennement 23quinquies c)) CBE est applicable, qu’elle s’inscrit dans le champ d’application de l’article 53a) CBE et qu’elle interdit de breveter des produits qui, à la date de dépôt, ne pouvaient être obtenus que par une méthode impliquant nécessairement la destruction des embryons humains dont lesdits produits sont dérivés.
On notera dans cette affaire, que le déposant WISCONSIN ALUMNI RESEARCH FOUNDATION , demandait que la CJCE soit saisie d’une question préjudicielle sur l’application de la Directive, demande rejetée par la Grande Chambre au motif qu’aucun texte applicable à l’OEB ne prévoyait cette voie procédurale.
2°) Une question préjudicielle a finalement été posée à propos d’un autre brevet, la CJCE a été saisie par le Bundesgerichtshof le 21 janvier 2010 de la définition de l’embryon au sens de la Directive.
Que convient-il d’entendre par « embryons humains » au sens de l’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques1?
a) Cette notion recouvre-t-elle tous les stades de développement de la vie humaine à partir de la fécondation de l’ovule ou d’autres conditions doivent-elles être satisfaites, par exemple un stade de développement déterminé doit-il être atteint?
b) Est-ce que les organismes suivants relèvent de cette notion:
(1) des ovules humains non fécondés, dans lesquels a été implanté le noyau d’une cellule humaine mature;
(2) des ovules humains non fécondés qui, par voie de parthénogenèse, ont été induits à se diviser et à se développer?
c) Est-ce que des cellules souches obtenues à partir d’embryons humains au stade de blastocyste relèvent également de cette notion?
Que convient-il d’entendre par « utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales »? Cette notion couvre-t-elle toute exploitation commerciale au sens de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, en particulier également une utilisation à des fins de recherche scientifique?
Un enseignement technique est-il exclu de la brevetabilité en vertu de l’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44 également dans le cas où l’utilisation d’embryons humains ne fait pas partie de l’enseignement technique revendiqué par le brevet, mais est la condition nécessaire de sa mise en œuvre
a) parce que le brevet porte sur un produit dont la production requiert la destruction préalable d’embryons humains
b) ou parce que le brevet porte sur un procédé pour lequel un tel produit est nécessaire comme matériau de départ?
3°) Les conclusions du 10 mars 2011 de l’Avocat Général qui militent pour une définition communautaire de l’embryon et non simplement nationale (points 66 et suivants) conduisent à exclure de la brevetabilité l’invention dont la mise en œuvre requiert, au préalable, soit la destruction d’embryons humains, soit leur utilisation comme matériau de départ, même si la description de ce procédé ne contient aucune référence à l’utilisation d’embryons humains.
Pour les revendications, les conclusions nous apprennent que :
Le Bundespatentgericht (tribunal fédéral des brevets) a fait partiellement droit à la demande de Greenpeace et a constaté la nullité du brevet de M. Brüstle, dans la mesure où la première revendication porte sur des cellules précurseurs obtenues à partir de cellules souches embryonnaires humaines et les douzième et seizième revendications sur des procédés pour la production de ces cellules précurseurs.
A propos des cellules en cause dans ce brevet :
93. En effet, au fur et à mesure de sa croissance impulsée par les cellules totipotentes du départ, l’embryon à un stade encore très précoce de son développement devient constitué non plus de cellules totipotentes, mais de cellules pluripotentes, celles-là même qui sont au cœur du brevet de M. Brüstle. Ces cellules peuvent se développer en toutes sortes de cellules pour constituer petit à petit l’ensemble des organes du corps humain. Cependant, et il s’agit d’une différence capitale, elles ne peuvent évoluer séparément vers un être humain complet. Elles sont déjà la marque d’une diversification qui, se poursuivant par la suite, aboutira au fur et à mesure de la multiplication des cellules à une spécialisation et à une diversification conduisant à l’apparition des organes et de tous les constituants individualisés du corps humain tel qu’il naîtra.
Parce que le brevet en cause ne cite pas expressément la destruction ou l’utilisation des embryons, ces conclusions tentent de définir l’embryon au sens de la Directive et du même coup construisent cette approche communautaire de l’embryon.
108. Dès lors, quand bien même les revendications du brevet ne préciseraient pas que des embryons humains sont utilisés pour la mise en œuvre de l’invention, alors qu’ils le sont, la brevetabilité d’une telle invention doit être exclue. Si tel n’était pas le cas, l’interdiction visée à l’article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44 serait facilement contournable, puisque la personne sollicitant un brevet pour son invention n’aurait, en effet, qu’à «omettre» de préciser dans les revendications du brevet que des embryons humains ont été utilisés ou détruits. Cette disposition serait, alors, totalement privée de son effet utile (43).
109. Il faut donc convenir, ne serait-ce que par souci de cohérence, que les inventions portant sur les cellules souches pluripotentes ne peuvent être brevetables que si leur obtention ne se fait pas au détriment d’un embryon, qu’il s’agisse de sa destruction ou de son altération.
110. En effet, ces cellules sont prélevées sur l’embryon humain au stade du blastocyste et elles impliquent forcément la destruction de l’embryon humain. Donner une application industrielle à une invention utilisant des cellules souches embryonnaires reviendrait à utiliser les embryons humains comme un banal matériau de départ. Une telle invention instrumentaliserait le corps humain aux premiers stades de son développement. Il nous semble inutile, car superflu, d’évoquer ici encore les références déjà effectuées aux notions d’éthique et d’ordre public.
Ainsi l’Avocat Général propose de répondre à la question préjudicielle de la juridiction allemande dans les termes suivants :
– La notion d’embryon humain s’applique dès le stade de la fécondation aux cellules totipotentes initiales et à l’ensemble du processus de développement et de constitution du corps humain qui en découle. Il en est ainsi, notamment, du blastocyste.
– Les ovules non fécondés, auxquels a été implanté le noyau d’une cellule humaine mature ou qui ont été induits à se diviser et à se développer par parthénogenèse, relèvent également de la notion d’embryon humain dans la mesure où l’utilisation de ces techniques aboutirait à l’obtention de cellules totipotentes.
– Prises individuellement, les cellules souches embryonnaires pluripotentes, parce qu’elles n’ont pas, à elles seules, la capacité de se développer en un être humain, ne relèvent pas de cette notion.
– Une invention doit être exclue de la brevetabilité lorsque la mise en œuvre du procédé technique soumis au brevet requiert, au préalable, soit la destruction d’embryons humains, soit leur utilisation comme matériau de départ, même si la description de ce procédé ne contient aucune référence à l’utilisation d’embryons humains.
– L’exception à l’interdiction de brevetabilité des utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales concerne les seules inventions ayant un objectif thérapeutique ou de diagnostic qui s’appliquent à l’embryon humain et lui sont utiles.