La loi sur les brevets autorise le breveté à demander des mesures provisoires d’interdiction avant le jugement qui se prononce sur l’action en contrefaçon. Mais quel juge saisir, le juge des référés ou le Juge de la Mise en État ?
L’enjeu de cette question dépasse largement la format de ce blog.
La Cour de Paris par son arrêt du 3 novembre 2015 confirme l’ordonnance du Juge de la Mise en Etat qui a prononcé des mesures d’interdiction provisoires.
La chronologie :
- Juillet 2012 : V…. assigne en contrefaçon de brevet D….. et G…..
- V…. saisit le Juge de la Mise en Etat sur le fondement de L615-3 du Code de la propriété intellectuelle le prononcé de mesures d’interdiction provisoire.
- 20 juin 2013 : ordonnance du Juge de la Mise.
Parmi les mesures ordonnées :
« fait défense, à titre provisoire, en application de l’article L615-3 du code de la propriété intellectuelle, aux sociétés D….. et G….. d’importer, de détenir, d’offrir à la vente et de vendre en France le robot ….. , sous astreinte non comminatoire de 1 000 € par infraction constatée, dans le délai de deux mois suivant la signification de l’ordonnance, étant précisé que l’importation, la détention, l’offre et la vente d’un seul robot constituerait une infraction distincte,
- 12 juillet 2013 : appel par D….. et G…..
La demande des sociétés appelantes telle que résumée par la Cour :
Considérant que les sociétés D….. et G….. demandent à la cour de juger que le juge de la mise en état n’est pas compétent pour accéder à des demandes de mesures d’interdiction provisoire sur le fondement de l’article L615-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007, qui organise une action spéciale à mettre en oeuvre devant la juridiction compétente par la voie du référé ou de la requête, de juger que seul le juge des référés ou le juge des requêtes peut être saisi et en conséquence, d’infirmer et d’annuler en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée ;
Les passages de l’arrêt qui citent d’ailleurs l’article 771 du CPC
Considérant que la simple lecture de l’article 771 du code de procédure civile, aux termes duquel :
‘Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est jusqu’à son dessaisissement, seule compétent, à l’exclusion de toute formation du tribunal, pour :
1. Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et sur les incidents mettant fin à l’instance ; les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ;
2. Allouer une provision pour le procès ;
3. Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 517 à 522 ;
4. Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires
4. Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies
conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
5. Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ;’ démontre que le rôle du juge de la mise en état ne se borne pas à ‘purger la procédure de l’instance au fond des éventuels incidents’, mais qu’il lui est attribué des pouvoirs concurrents de ceux d’autres formations du tribunal, d’où la prescription de sa compétence exclusive lorsqu’une demande est présentée postérieurement à sa désignation ;
Qu’il est ainsi jugé de façon constante, pour l’octroi d’une provision dans les cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable, que la compétence du juge des référés cesse à partir de la désignation du juge de la mise en état, celui-ci étant exclusivement compétent dès lors que la demande est présentée postérieurement à sa désignation ;
Qu’il est donc admis que la compétence du juge de la mise en état présente les mêmes garanties que celle du juge des référés en termes d’accès à un débat contradictoire, de droit au procès équitable et de sécurité juridique, étant observé que les parties gardent la maîtrise de la procédure puisque la compétence du juge de la mise en état dépend essentiellement de l’engagement par elles d’une action au fond ;
Que la formule ‘toutes autres mesures provisoires’ utilisée par le §4 de l’article 771 du code de procédure civile est suffisamment large pour englober les mesures d’interdiction provisoires prévues par l’article L615-3 du code de la propriété intellectuelle, qui ne figurent pas dans la liste des exceptions à la compétence exclusive du juge de la mise en état précisées dans le même paragraphe ;
Que, si celles-ci ne figurent pas non plus, malgré leur importance, parmi les décisions du juge de la mise en état prévues à l’article 776 du code de procédure civile qui, par exception au principe de l’appel avec le jugement sur le fond, sont susceptibles d’ appel immédiat, elles bénéficient néanmoins, avec la possibilité d’un appel différé, du double degré de juridiction, étant observé qu’en pratique, comme en l’espèce, la fixation du calendrier par le juge de la mise en état est susceptible de permettre un examen de l’affaire au fond dans des délais concurrençant ceux de l’examen en appel d’une ordonnance de référé ; qu’à cet égard, il doit être relevé que le ‘délai raisonnable’ auquel fait référence l’article 9 de la directive du 29 avril 2004 ne se rapporte qu’à la possibilité de révision dont doit faire l’objet les mesures provisoires lorsqu’elles sont ordonnées non contradictoirement, sur requête ;
Que l’appréciation du caractère vraisemblable de l’atteinte alléguée aux droits du titulaire du brevet exigée par l’article L615-3 du code de la propriété intellectuelle ne peut qu’être facilitée par la réunion des preuves déjà produites par le demandeur à l’action introduite au fond et la saisine d’un juge spécialisé en matière de brevet ; que pour les requêtes, l’article 812, alinéa 3 du code de procédure civile prévoit d’ailleurs que celles afférentes à une instance en cours doivent être présentées au président de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée ; qu’il ne peut ainsi être déduit des anciennes dispositions applicables la volonté réitérée par le législateur en 2007 d’instaurer une séparation des pouvoirs entre le juge des mesures provisoires et le juge des mesures définitives, laquelle n’est au demeurant nullement imposée par la directive du 29 avril 2004, qui n’érige aucun principe à ce sujet ;
Qu’en définitive, aucune disposition de l’article L615-3 du code de la propriété intellectuelle, même lu à la lumière de la directive du 29 avril 2004, n’interdit sa combinaison avec l’article 771 du code de procédure civile ; qu’il en résulte que le juge de le mise en état a à bon droit reconnu sa compétence pour statuer sur la mesure d’interdiction provisoire sur le fondement de ces textes ; qu’il convient donc de confirmer l’ordonnance de ce chef et de rejeter les demandes des appelantes ;