Limitation de brevet : un tiers peut-il contester la décision de l’INPI qui accepte la limitation du brevet demandée par son titulaire ? La Cour de Paris par son arrêt du 30 mars 2011 avait déclaré irrecevable le recours du tiers, la Cour de cassation le 30 mai 2012 rejette le pourvoi.
On se rappelle que TEISSEIRE avait déposé un recours contre la décision de l’INPI d’accepter la limitation de brevet demandée par ROUTIN sur son brevet français visant une boisson aromatisée.
Rappelons aussi que cette demande de limitation est intervenue après que TEISSEIRE ait demandé reconventionnellement la nullité de brevet dans l’instance en contrefaçon initiée par ROUTIN .
Voyons ce que dit la Cour de cassation pour rejeter le pourvoi :
Attendu que la société Teisseire fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable ce recours, alors, selon le moyen :
1°/ que sauf disposition expresse contraire, les décisions prises par le directeur de l’INPI à l’occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien des titres de propriété industrielle sont susceptibles de recours devant la cour d’appel ; que si l’article L. 613-25 d) du code de la propriété intellectuelle prévoit que le brevet est annulé dans l’hypothèse où, après limitation, l’étendue de la protection conférée a été accrue, cette disposition n’a ni pour objet ni pour effet de priver les tiers de la possibilité de former un recours contre la décision du directeur de l’INPI qui, acceptant une requête en limitation, aurait, en réalité, pour effet d’étendre la protection conférée par le brevet tel que délivré ; qu’en décidant, au contraire, que le législateur aurait entendu réserver à la connaissance du juge de la nullité du brevet le cas dans lequel la limitation prétendue d’une revendication produirait une extension du champ d’application du brevet, la cour d’appel a méconnu ses pouvoirs, en violation des articles L. 411-4, L. 613-24 et L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que lorsqu’il se prononce sur une requête en limitation, le directeur de l’INPI examine la conformité de celle-ci avec les dispositions de l’article R. 613-45 du code de la propriété intellectuelle et vérifie notamment que les revendications modifiées constituent bien une limitation, et non une extension, par rapport aux revendications antérieures du brevet ; que la cour d’appel, statuant sur un recours contre la décision du directeur de l’INPI, a vocation à contrôler le bien-fondé de celle-ci, en vérifiant que le directeur de l’INPI a correctement apprécié les conditions précitées ; qu’en jugeant que le recours formé par la société Teisseire tendrait à obtenir une décision sur une question qu’il ne lui appartiendrait pas de trancher dans le cadre d’un recours contre une décision du directeur général de l’INPI, quand ce recours visait précisément à reprocher à ce dernier d’avoir fait une appréciation erronée des conditions requises pour l’acceptation d’une requête en limitation, la cour d’appel a méconnu ses pouvoirs, en violation des articles L. 411-4, L. 613-24 et R. 613-45 du code de la propriété intellectuelle ;
3°/ que commet un excès de pouvoir le juge qui, après avoir retenu qu’il n’avait pas le pouvoir de trancher la question qui lui est soumise, se prononce sur l’intérêt du demandeur à former son recours devant lui ; qu’en retenant, en l’espèce, qu’en toute hypothèse, la société Teisseire ne démontrerait pas que la décision du directeur de l’INPI lui ferait grief, la cour d’appel, qui s’est ainsi prononcée sur l’intérêt à agir de la société Teisseire, quand elle relevait qu’elle n’avait pas le pouvoir de trancher la question qui lui était soumise par cette société dans le cadre de la procédure de recours contre une décision du directeur général de l’INPI, la cour d’appel a commis un excès de pouvoir, en violation de l’article L. 411-4 du Code de la propriété intellectuelle ;
4°/ que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ; que l’intérêt à agir s’apprécie uniquement au regard des prétentions formées dans le cadre de l’action envisagée ; que le fait que le demandeur dispose, par ailleurs, d’une autre action en justice, ne tendant pas aux mêmes fins, n’est pas de nature à le priver d’intérêt à agir ; qu’en se fondant, pour retenir que la société Teisseire ne démontrerait pas que la décision du directeur général de l’INPI du 9 avril 2010 lui ferait grief, sur le fait que cette société pouvait également solliciter la nullité du brevet de la société Routin pour extension de la protection conférée par le brevet, la cour d’appel s’est déterminée par un motif inopérant, en violation de l’article 31 du code de procédure civile ;
5°/ qu’un tiers a intérêt à contester la décision du directeur de l’INPI acceptant une requête en limitation s’il estime qu’une telle décision a, en réalité, pour effet d’accroître l’étendue de la protection conférée par un brevet qui lui est opposé ; qu’en se bornant à affirmer que la société Teisseire ne démontrerait pas que la décision d’acceptation des modifications apportées par la société Routin lui ferait grief, sans répondre aux conclusions de cette société qui faisait valoir que la décision du directeur général de l’INPI du 9 avril 2010 avait pour effet d’étendre la portée du brevet n 06 50865 et dispensait la société Routin d’avoir à prouver, dans le cadre de l’instance en contrefaçon qu’elle avait intentée à son égard, que les sirops commercialisés par la société Teisseire présentaient les caractéristiques d’index glycémiques et insulinémiques qui étaient visés dans la version antérieure du brevet, tel que délivré, la cour d’appel a privé sa décision de motifs, en violation de l’article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l’arrêt retient exactement qu’il résulte des dispositions de l’article L. 613-25 d) du code de la propriété intellectuelle qu’est réservé à la connaissance du juge de la nullité du brevet le cas dans lequel la limitation prétendue d’une revendication produirait, non pas une réduction du champ d’application du brevet, mais au contraire son extension ; que l’inobservation de cette règle est sanctionnée par une fin de non-recevoir ; qu’ayant retenu que le moyen développé par la société Teisseire au soutien de son recours en annulation de la décision du directeur général de l’INPI s’analyse en réalité en un moyen de nullité du brevet qui lui est opposé dans le cadre de l’action en contrefaçon dirigée contre elle, la cour d’appel a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les trois dernières branches, légalement justifié sa décision ; que le moyen, non fondé en ses deux premières branches, ne peut être accueilli pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Décision intéressante et, à mon avis, justifiée tant en droit qu’en opportunité.
Je souhaiterais soulever une question connexe: les observations soumises par les tiers au cours de la procédure de limitation. Ce cas n’est pas envisagé par le Code, l’INPI se trouve donc face à un vide juridique. Il pourrait les considérer irrecevables – mais à partir du moment où l’examinateur en a pris connaissance, il ne peut plus réellement en faire abstraction et cette irrecevabilité serait illusoire. Concrètement, l’INPI verse les observations au dossier et impartit au breveté un délai pour y repondre – au risque de donner prise à des manœuvres dilatoires. Une clarification législative ou règlementaire serait la bienvenue.
Décision justifiée ?
En Droit, peut-être, si l’on fait une lecture stricte, voire étroite, du L. 613-25.
En effet, on peut se demander si la décision ne dispense effectivement pas ROUTIN de prouver la validité du brevet attaqué, opportunément amputé (sans recours) de sa partie litigieuse…