Un moteur de recherche sur Internet est-il brevetable ?

Le précédent post a déjà cité cet arrêt du 16 décembre 2016. Cette fois, il est question de la validité de la partie française du brevet européen qui porte sur un moteur de recherche sur Internet. Y-a-t-il un problème technique résolu par des caractéristiques techniques ou ne s’agit-il que d’un processus purement intellectuel, c’est à dire une méthode  ?

Rappelons que le tribunal a déjà annulé ce titre sur la demande de S….. poursuivie en contrefaçon par D…….

  • Le brevet selon son titulaire

Considérant que la société D….. expose que ces moteurs présentent des inconvénients en ce que, d’une part, les catégories fixes ou statiques sont limitées notamment par le travail humain nécessaire pour compléter des catégories et mettre en correspondance les entrées de la base de données et les catégories, d’autre part, si les groupes formés de mots clés peuvent fournir une vision dynamique , ils ne fournissent pas un outil facilement exploitable et ne permettent pas à l’utilisateur de naviguer facilement et librement parmi les documents, faisant observer qu’une recherche par catégorie est adaptée pour effectuer une recherche parmi des sites et les recherches par mot clé à une recherche parmi des documents textuels distincts; qu’elle propose de combiner les deux types de recherche.

  • Les revendications opposées

Considérant que le brevet EP-B-1 182 581 comprend 16 revendications dont sont seules invoquées les revendications 1, 2, 3, 5, 6, 8, 9,10,11,12 et 14 dont deux, la revendication1 et la revendication 14 sont indépendantes, l’une étant une revendication de procédé de recherche et l’autre protégeant un serveur de recherche ; que la teneur des dites revendications est la suivante :

  • Si le brevet porte  sur 16 revendications dont 13 sont opposées, limitons-nous, ici, à la revendication 1ère

Revendication 1 « Un procédé de recherche dans une base de données d’entrées, comprenant les étapes consistant :

à fournir une base de données d’entrées, au moins une partie des dites entrées étant mise en correspondance avec un ensemble de catégories, au moins une partie des dites entrées étant associée à des mots clés ;

en réponse à la première requête d’un utilisateur

à rechercher dans la base de données d’entrées et à renvoyer des entrées en réponse à la requête

à sélectionner des catégories parmi ledit ensemble de catégories en fonction des entrées renvoyées par ladite requête ;

à sélectionner dynamiquement des mots clés associés aux entrées renvoyées par ladite requête ; et à afficher pour l’utilisateur lesdites catégories sélectionnées et lesdits mots clés sélectionnés ;

en réponse à l’activation par l’utilisateur de l’un parmi lesdites catégories affichées et lesdits mots clés affichés, à lancer une deuxième requête affinant la première requête ».

  • Les mots clefs et catégories ne constituent pas des objets techniques pour l’homme du métier

S….. soutient que le brevet encourt la nullité au motif qu’il est dépourvu de caractère technique, et rappelle l’article 52 de la Convention de Munich , repris à l’article L 611-10 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Considérant que la société S….. affirme que les revendications 1 et 14 ne concernent pas une solution technique visant à remédier à un problème technique de l’art antérieur.

Considérant que la revendication 1 comprend deux phases dont la première consiste à « à fournir une base de données d’entrées, au moins une partie des dites entrées étant mise en correspondance avec un ensemble de catégories, au moins une partie des dites entrées étant associée à des mots clés ».

Considérant que la société D…… affirme que les index de catégories et de mots clés sont des objets techniques puisqu’ils permettent une recherche parmi la base de données d’entrées ce que conteste la société S……

Considérant que le brevet distingue les catégories comme étant statiques et représentant de manière précise le savoir faire de l’être humain qui les a définies et comme étant limitées à ce savoir faire, des groupes formés par les mots clés, qui offrent une vision dynamique du monde et précise que les premières sont adaptées à une recherche parmi les sites tandis que les mots clés le sont parmi des documents textuels distincts; que cette description ne donne aucune information qui permettrait d’opérer une distinction claire basée sur des éléments techniques.

Considérant que, selon Le Petit Robert, les notions de « catégories » et de « mots-clés » sont définies comme suit :

« mot-clé : mot représentant une des notions fondamentales de l’information contenue dans un texte »,

« catégorie »: classe à l’intérieur de laquelle sont placés, selon des critères sémantiques ou grammaticaux, les éléments d’un vocabulaire ».

Considérant que le brevet indique qu' »Une mise en correspondance est en général une opération manuelle, bien qu’il soit possible d’utiliser n’importe quel processus automatique, que des entrées sous forme textuelle peuvent être associées facilement à des mots clés, par exemple en indexant de manière automatique les entrées et en sélectionnant des mots clés », que les « catégories » seraient en nombre limité alors que les « mots clés » pourraient se compter par « dizaines de millions », que les « mots clés » « peuvent fournir une vision dynamique du monde » alors que les « catégories » seraient une « représentation du monde, au moment où la base de données est construite », qu’ils n’auraient « aucune signification de manière intrinsèque » et qu’ils auraient « un niveau bien plus inférieur à celui des catégories » ;

Considérant que, si un ordinateur n’a aucune conscience du sens des mots lorsqu’il traite un mot-clé ou une catégorie pour réaliser une recherche de sorte qu’il importe peu que ceux-ci soient distingués par leur sens, force est de constater que l’utilisateur sera attaché au sens des mots et que le traitement des entrées pour extraire des mots clés et des catégories ne pourra faire abstraction de celui-ci ; que la recherche et l’identification de mots clés découlera directement du sens des entrées ; que la société D…… a reconnu dans ses conclusions de première instance que le seul moyen de d’identifier et de distinguer des mots-clés et des catégories consiste à analyser leur contenu sémantique ce en indiquant « Sémantiquement parlant, ces termes correspondent bien à des « catégories » puisqu’il consiste à répartir les différents résultats disponibles en fonction de leur nature » ; que, dès lors, le contenu cognitif des données est un facteur qui déterminera le choix des mots clés et des catégories qui présentent de ce fait un caractère intellectuel dépourvu de technicité.

Considérant que rien ne les distingue techniquement catégories et mots clés d’autres descripteurs employés dans une opération d’indexation ; que l’utilisateur doit aussi comprendre la langue dans laquelle les mots clés et catégories sont affichés.

Considérant que le brevet indique d’ailleurs : « Dans l’exemple de la figure 1, ces mots clés apparaissent dans une liste distincte de la liste de catégories. Contrairement à ce mode de réalisation, des stratégies d’affinement pourraient être affichées sans identifier des catégories prédéfinies et des mots clés dérivés de manière dynamique. Dans ce cas, l’utilisateur ne pourrait pas effectuer de distinction entre les catégories prédéfinies et les mots clés » ; que les figures 1 à 5 du brevet montrent que la seule différence provient du seul affichage d’expressions et de mots différents, sous les vocables « catégories » et « keywords ».

Considérant qu’il résulte de ces éléments que mots clés et catégories sont des concepts abstraits résultant de choix intellectuels qui ne peuvent échapper à une certaine subjectivité de sorte qu‘ils ne constituent pas des outils techniques identifiables par l’homme de métier, quelque soit la définition donnée de celui-ci.

  • L’apport prétendu de l’invention porte  sur un élément technique qui était déjà connu à la date du dépôt du brevet

Considérant que la revendication 1 vise ensuite différentes étapes fonctionnelles, en réponse à la première requête d’un utilisateur qui consistent :

à rechercher dans la base de données d’entrées et à renvoyer des entrées en réponse à la requête

à sélectionner des catégories parmi ledit ensemble de catégories en fonction des entrées renvoyées par ladite requête ;

à sélectionner dynamiquement des mots clés associés aux entrées renvoyées par ladite requête ; et à afficher pour l’utilisateur lesdites catégories sélectionnées et lesdits mots clés sélectionnés ;

en réponse à l’activation par l’utilisateur de l’un parmi lesdites catégories affichées et lesdits mots clés affichés, à lancer une deuxième requête affinant la première requête ».

Considérant que la société D….. affirme que l’ensemble des étapes fonctionnelles du procédé de la revendication 1 contribue au résultat obtenu par l’invention en ce que l’utilisateur, sans avoir besoin d’une compétence particulière, ni d’une connaissance du fonctionnement du moteur de recherche, peut facilement retrouver des résultats pertinents, en réponse à sa recherche et que cet ensemble résout un problème technique qui est d’obtenir un résultat concret à savoir l’identification de documents pertinents parmi ceux présents dans la vase de données en combinant lors de l’affinement de la requête des recherches par catégories et par mots clés dépendants des résultats de l’étape précédente de la requête.

Considérant qu’au moment du dépôt de son brevet il était connu de procéder à des recherches parmi des bases de données d’entrées en utilisant des catégories ce qui était le système Yahoo ou par mots clés ce que faisait la société Altavista de sorte que l’apport technique ne peut résulter que de la combinaison mots clés et catégories et l’obtention d’une requête affinée.

Considérant que le brevet décrit la deuxième phase de la revendication 1 comme celle de la mise en oeuvre de la « sélection dynamique » où il est possible d’extraire de manière dynamique à partir de cette base de données de mots-clés, les mots clés associés à l’ensemble de documents sélectionnés par la demande et sélectionner ceux qui apparaissent le plus souvent en tant qu’ensemble de mots-clés à afficher à l’intention de l’utilisateur ».

Considérant que le brevet ne définit pas le terme « dynamique » et ne lui donne par conséquent aucun contenu technique.

Considérant que la société S….. expose que ces étapes s’apparentent à celles mises en oeuvre par un bibliothécaire à l’occasion de la recherche manuelle d’un livre et qu’elles constituent un processus purement intellectuel.

Considérant que le bibliothécaire qui est un professionnel, utilisera un procédé de recherche parmi la base d’entrées que constituent les ouvrages de la bibliothèque en créant des catégories prédéfinies et en identifiant une liste de mots importants afin de répondre à la demande de l’utilisateur, toutes les entrées constituant l’ensemble dans lequel la recherche devra être effectuée qui feront l’objet d’une indexation préalable pour être stockées dans un fichier quelle que soit sa forme ; qu’il déterminera des catégories et des mots clés plus adaptés pour permettre une recherche.

  • L’automatisation d’un processus intellectuel  n’apporte pas l’élément technique requis

Considérant dès lors que, s’il ne peut être nié que des résultats obtenus du fait d’une automatisation du processus peuvent être différents de celui obtenus par une mise en oeuvre manuelle et étendre le domaine de la recherche, le processus intellectuel reste le même, indépendamment du résultat obtenu, ces circonstances affectant le résultat et non le processus mis en place.

Considérant de plus qu’il résulte en effet tant de la description que de la revendication 1 que l’invention s’applique plus largement à toute recherche dans tout type de base de données qu’elle soit informatisée ou non, le brevet indiquant que « L’invention a été décrite dans la présente description en se référant à des recherches sur internet, les résultats de la recherche étant des documents et des sites Web du World Wide Web. L’invention s’applique de manière plus générale à des recherches effectuées parmi n’importe quel type de base de données indexée ou non indexée, à condition qu’un certain nombre de mots clés puissent être associés aux entrées de la base de données. (‘).

Enfin, l’invention ne se limite pas à la description faite ci-dessus. Il est possible de faire appel à d’autres procédés pour remplir des bases de données » ; que, dès lors, les références à Internet dans la description du Brevet, à supposer même qu’elles puissent lui conférer un caractère technique, ne sont qu’un simple exemple de mise en oeuvre de l’invention revendiquée.

Considérant que l’invention indique que les résultats transmis aux utilisateurs en réponse à une première requête comprennent lesdites catégories sélectionnées et lesdits mots clés sélectionnés, et que le serveur de recherche est adapté à lancer une deuxième requête affinant la première requête, en réponse à l’activation par l’utilisateur de l’un parmi les catégories et mots clés affichés en réponse à une première requête sans pour autant caractériser techniquement leur combinaison.

Considérant que la réponse à un recherche par mots clés ou par catégories correspond à l’état de la technique antérieure au dépôt du brevet D……  qui se propose de les améliorer par une recherche associée.

Considérant que ni la description de l’invention, ni les figures ne précisent d’élément technique relatif à une recherche associée; qu’en effet, s’il est mentionné un « nodule d’extension spécialisé ajouté au serveur HTTP afin d’exécuter le traitement associé aux demandes des utilisateurs, il est précisé que celui-ci « contacte d’abord la base de données d’index inversés afin d’extraire un ensemble classé de documents qui satisfont à la demande. Le nodule contacte ensuite les trois autres bases de données afin d’extraire les catégories, les mots clés et les résumés associés à ces documents. Le nodule peut alors exécuter les processus de sélection de mots clés et de catégories décrits ci dessus ; une fois que les catégories et les mots clés appropriés sont sélectionnés, ils sont associés aux documents résultants pour construire la page de réponse HTMI à faire renvoyer à l’utilisateur par le serveur HTTP », ce schéma ne fait pas référence à une recherche associée par mots clés et catégories et ne décrit dès lors aucun moyen technique de mise en oeuvre de ce qui constitue en conséquence l’énoncé d’une méthode.

Considérant que les étapes fonctionnelles de la revendication 1 ne sauraient caractériser son caractère technique.

La Cour confirme le jugement d’annulation des revendications opposées.

 

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